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La rupture tranquille

Publié le 07 janvier 2008 par Laurent Matignon
Chapitre 2
J’arrive en vue de la gare. Le départ vers une nouvelle vie ? Non, je ne vois pas ça comme ça. J’ai épuisé les ressources de ce lieu et, dans la suite logique des choses, je dois partir. Juste quelques marches à gravir et je m’en irai. J’ai hâte d’y être. Même si je ne sais toujours pas où aller. Les destinations sont affichées, non loin de là. Paris, bien sûr. Lyon. Nice. Montpellier. Toulouse, Bordeaux. D’autres encore. L’embarras du choix. Je n’ai pas envie de choisir. Je prendrai donc le premier train.
Je suis en route. En route pour… je ne sais pas. Je n’ai pas voulu regarder. Sans doute pour ne pas avoir l’impression que je vais revenir. Pour l’heure, je suis occupé à détailler la brune aux yeux clairs assise en face de moi. Je la regarde comme un chien contemple un chapelet de saucisses qu’il s’apprête à dévorer. Il me vient soudain à l’esprit que cette analogie est plus qu’évidente. Le chien observe, sent, ou plutôt renifle, bave et dévore sans attendre. Et, à ma connaissance – bien que je ne sois pas un spécialiste renommé de la race canine -, on ne trouve pas de chien qui prenne la peine de converser pendant des jours, des semaines, des mois, avec l’objet de sa convoitise, avant de pouvoir en disposer.
La séduction est une aberration typiquement humaine.

Visiblement, l’évidence de cette pensée m’a surpris alors que mon regard s'était égaré dans le décolleté de ma voisine. Et visiblement, celle-ci est du genre timide. Parfait. Elle baisse les yeux, et ne dit pas un mot. Elle se contente de rougir.
C’est un bon début.
On ne peut pas dire qu’elle soit mignonne, non. Ce serait faire injure à celle que je viens de quitter. Mais elle a des arguments, comme on dit. Elle a de quoi s’occuper. Alors je me décide à entendre le son de sa voix. Parce que s’il est bien une chose qui me bloque chez une femme, c’est une voix rauque et caverneuse. Un vrai remède à l’amour.
Fort heureusement, celle-ci a plutôt une voix très haut perchée. Sans doute un peu trop, mais l’heure n’est pas à ce genre de considérations. J’apprends qu’elle était en vacances chez de la famille. Elle est étudiante. En maîtrise. En maîtrise de quoi, j’ai oublié, mais cela veut dire qu’elle a 22 ou 23 ans. De mieux en mieux. Indépendante juste comme il faut. Naïve à souhait.
Elle est un peu sur la défensive, mais je sais que c’est juste pour la forme. Pour l’heure, j’ai réussi à ne pas parler de moi. Ca ne m’intéresse pas. Je sais déjà tout de moi.
Il faut que je lui fasse dire où elle va. Pour cela, rien de tel que de prendre l’air inspiré en regardant par la fenêtre et de déclamer des banalités sur la beauté du paysage, de la région, la chance qu’ont les gens d’habiter par ici… Gagné. Comme d’habitude. Elle m’assure que chaque fois qu’elle vient par ici, elle se jure de s’y établir. Un jour.
Suite à quoi je lui fais remarquer que c’est le genre de choses qu’on ne peut réaliser que tant qu’on n’a pas encore d’attaches. Aussi bien professionnelles que… sentimentales. Je me dégoûte. Si elle ne me voit pas venir, c’est qu’elle le fait exprès. Beaucoup font semblant d’être bêtement naïves. Celle-ci fait visiblement partie de la minorité.
Authentiquement niaise.
Délicieusement stupide.
J’apprends donc qu’elle vit seule. Qu’elle n’a aucun homme dans sa vie. Et qu’elle descend au terminus.
Bordel. On a presque traversé la France et je ne me suis rendu compte de rien. Je deviens décidément trop sentimental. A l'avenir, il va falloir faire plus attention.
Elle ne semble pas étonnée d’apprendre que je me destine également au terminus. Et elle ne semble pas s’étonner de ne toujours rien savoir sur moi. Ca me laisse un peu de marge : à partir de ce que j’ai appris, je vais pouvoir broder à ma guise. Mais tout n’est pas aussi simple. Dans quelques minutes maintenant, notre train va entrer en gare. Je n’ai nulle part où aller.
Trouver une solution.
Vite.
Je lui propose de poursuivre notre conversation autour d’un bon repas. Encore gagné. « Je ne sais pas si je dois accepter ». Les formules d’usage. Trop facile. Petit problème : je ne connais absolument pas la ville où je vais me retrouver et elle va de toute évidence, aussi stupide soit elle, s’en rendre compte bien vite.
« Vous choisissez le restaurant », lui dis-je. Histoire de lui fournir par la même occasion le prétexte qu'elle attendait pour poursuivre la journée en ma compagnie.

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