Lundi 23 février 1863, 10h du soir
J'appris que mon frère était sur le point d'épouser la cadette des Bonnet. Ma mère, qui n'avait jamais tari d'éloges sur la jeune fille, qu'elle jugeait aussi exemplaire que charmante, était toute à la préparation des noces. Sa santé, aux dires de mon père, n'avait jamais été aussi bonne. De son côté, conquis par l'euphorie de sa femme, il pensait déjà à l'éducation de ses futurs petits-enfants et s'était mis en quête, pour le foyer à naître, d'une gouvernante présentant les meilleures références.
De son écriture fine et oblique, il concluait sa missive en déplorant mon absence en ces jours heureux. Les mains tremblantes d'émotion comme à chaque fois que je lisais ses lettres, je remerciai le ciel en rangeant les feuillets. J'appréhendai toujours quelque tragique événement, nous vivions dans des mondes si différents que j'avais l'impression de ne pas les avoir vu depuis une éternité. Néanmoins, je n'avais aucune peine à imaginer la maisonnée en effervescence, la félicité bouillonnante de ma mère et l'enjouement placide de mon père.
De retour à l'hôtel, je trouvai Henri et Louis assis sous la verrière dans le jardin. Quand ils m'aperçurent, ils se turent sur-le-champ. Louis - je jurerais qu'il commence à avoir des soupçons - me demanda d'où je venais, pendant qu'Henri m'observait en silence en lissant sa moustache. En souriant, je brandis le paquet de journaux dont ils s'emparèrent aussitôt. Ceux-ci les divertirent tant que je n'eus pas à répondre à d'autre question jusqu'à l'arrivée de Guy, qui s'installa à mes côtés et posa une main amicale sur mon épaule. Sa voix était douce, mais sa paume restait moite et son allure triste. Je l'observais, cherchant dans son regard l'âpre reflet de la trahison, mais ses yeux fuyaient les miens. Pourtant, contre toute attente, le déjeuner se déroula dans la gaîté et nous évoquâmes ensemble les événements dont nous venions de prendre connaissance, soulignant la singularité de nos voisins anglais, aux idées parfois si farfelues, qui inaugurèrent le mois dernier un chemin de fer souterrain à Londres.
En début d'après-midi, Louis s'absenta. Je profitai de cette brève accalmie pour m'installer à l'ombre du sycomore centenaire, fierté de l'hôtel, avec ma grammaire égyptienne. Mais il me fut impossible de me concentrer suffisamment pour progresser, le papyrus que j'avais dérobé occupant chacune de mes pensées. J'avais terriblement peur que l'on ne découvrît l'infraction que j'avais commise la veille au soir et que le fruit de mon larcin ne me fût confisqué. J'étais pleinement consciente qu'au-delà du vol dont je m'étais rendue coupable, cet acte entérinait une décision irrévocable. Je ne resterais pas une semaine de plus en leur compagnie. Notre alliance prenait fin, j'en vivais les derniers balbutiements.
La séance de débandelettage aura-t-elle lieu? Suite au prochain épisode.