Magazine Journal intime

Passerelle.

Publié le 31 octobre 2010 par Thywanek
Qu'étaient donc les brumes de cette ère aux limites troubles que seuls dessinaient des choeurs murmurant, indénombrables et constants, flouant des vies et des morts les donjons poreux des peuples indécis avec les copeaux gazeux des peuples évidés.
Une passerelle de bois et de corde. Une nacelle d'un passage aux tenants invisibles. Attaches diluées dans des bords voués aux confusions. Un métronome éolien scandant les plaintes des grincements d'une balance menaçante, les allants perdre, débris sourds de charnières, au dessus de mondes, de cités, de déserts. De jardins aussi. De corps endormis. Cruel, déjà, de gamins méfiants. Cruel, toujours, d'épuisements amarrés à des griffiers de roses.
En bas tous les vacarmes mêlaient leurs routines et leurs vitesses, leurs étendues scintillantes et leurs plaines sillonnées, leurs résilles fulgurantes et leurs pôles hérissés, en une immense couche de dédales survoltés, inquiets, conquérants, mystiques, avides, affolés.
Et lorsqu’il avait levé les yeux, engonçant encore plus sa tête dans le col de sa carapace noire, il n’avait rien cherché de plus que le retour de ces fureurs vitales et mortifères. N’avait entendu que la syncope infinie du cosmos, indifférente.
C’était une heure de plein jour. Une heure d’ascension rare dans une spirale évasive. Une heure où un bruit, une onde de choc peut-être plus violente que d’autres, un déchirement plus soudain parmi tous ceux dont s’accompagnaient les séismes ordinaires entre les foules mouvementées, avait crevé trop durement l’enveloppe tendue de son pas.
Il avait difficilement appris à ne plus s’arrêter. A ne plus s’arrêter que seul. Dans un recoin où son clos de membranes irisées puisse reprendre souffle, sang et chair. Où puissent se renouer les membres épars de son sommet d’arbre déphasé. Ou comme un animal honteux ils puisse lâcher les encres lourdes et les déchets poisseux qu’accumulaient en lui ses regards aux armes nues sur le meurtre innocent de pauvreté. Celle des possessions fétiches. Des appétits sans fond. Des frustrations tyranniques. Des fantasmes impotents.
S’il fallait renoncer à enseigner de soi, comme à apprendre au delà des mots de mots périphériques à peine assez éclos, aux tracés imprudents de science achevée, c’était d’un peu de rien, de sébile en sébile, qu’une autre monnaie pourrait, s’il le faut, payer quelques accords d’un commerce nouveau. Sous le manteau des vieilles peaux. S’il se décide qu’on reste assez ensemble. Mangeurs infortunés de sois dans le ventre amoureux, ou haineux, ou même impassible d’autrui.
A ne plus s’arrêter qu’allongé réfugié sous les surfaces, à fleur de champs, d’étangs, sous le plancher, sous le marbre, ophélien éveillé écrivant du dessous ces secrets introuvables dont il ne faut connaître pour les éprouver, et qu’ayant rencontrés on peut alors transmettre pour pas plus qu’un anneau de fer et plus muets encore de tout bijou, de tout prisonnier, de tout esquif dansant une impatience au bout d’un plongeoir au dessus des bras d’une noyade amante.
Sûrement qu’on avait commencé à apercevoir quelque chose dans le démembrement des madones aux vernis précieux. Dans la dissection des batailles épiques. Dans le chapeau du verbe mélangé. Dans le film inversé du futur au passé.
Cependant, lorsqu’il avait levé les yeux, il n’avait rien trouvé d’autre que la grande beauté immobile qu'on mettait en partitions d’abîme selon des formules gracieuses, au nom d’une bulle glacée qui s’y trouvait sertie, peuplée de faims déraisonnées à réchauffer leur frayeur impudique d’être seul éphémère priant en négatif qu’autre chose existât.
Mais rien qu’aimer et la distance redevenait insensée. Il l’avait difficilement appris aussi. Dans sa chimie intime entre l’âme et le couteau. Sa pensée aux contours de toiles écharpées. D’une parole coincée dans un goulot dilaté. D’un corps qui le quittait le sien propre ballant d’un nerf électrifié relâché dans le vent. D’une croyance autant et avant tout. Avant même qu’aucun commençât à compter des signes hypothétiques sous la voûte des nuits primitives. Avant les début dangereux de concevoir. Avant l’idée de savoir ce que c’est que comprendre. Avant le projet de la première pierre. Que la première statue irradiât des angoisses. Que les tous premiers fous inventassent leurs lois vaines pour encombrer les cieux et les cœurs. Combler le néant avec des prétentions de sabliers.
D'une croyance échappée aux canaux historiques. L’eau qui ne peut tenir dans le creux de deux mains et qu’on puise pourtant pour la sentir filer dans un son délicieux de clavier déjoué. La croyance vêtue en reine mendiante. De moins que le prix d’une bille de verre que l’enfant fait rouler les yeux étincelants. De plus que les atours de châsses adorées dont se parent les morts usurpatrices.
Il regardait, se penchant frêlement, à travers les fumées que son chœur composait, indéfini et persistant, filtrant des vies et des morts les messages embrouillés et les testaments oublieux.
Les mains serrées sur la corde rêche de la passerelle. Bercé par l’ample et lente brassée des airs.
Y avait-il eu un coup de fusil. Une sentence au fil badigeonné de faux or. Une marée de plus de peste méprisée. Un énième aboiement couronné. Une irruption de venin. Un versement de nouveau sur le compte crypté d’une bête immonde.
Parfois il jetait un regard d’un côté puis de l’autre, vers chaque extrémité où s’évanouissaient le chétif ponceau de bois et de cordes.
Il avait appris à attendre. Trop. L’elfe doucereux guettant à travers lui l’instance de l’ombre. La fatale effarante surveillant de même le follet consumant. Lui, curseur glissant, à peine retenu par l’un et à peine espéré par l’autre.
Happé encore une fois par une heure interdite au tempo emmuré. Soustraction au continuum des jours à faire de tant d’actes notariés. De classifications. D’enjambées machinales à travers des champs mécaniques.
Tirer sans faiblir les liens des origines. Les portées d’insectes hiéroglyphes. Les pages tombées de l’arbre. Les histoires de pluies aux minéraux invisibles. D’herbes sauvages. De vins renversé. De révolte. Jeter des filets vers l’avant. Agripper des décombres déjà là aux pointes qui dépassent les jauges insondées.
Attendre que revienne, indispensable maladie du vivant, le besoin de plaisir, de jouir, d’exulter, comme un abcès lisse et vibrant, enflant entre les plis des défis où sont tapis les sexes, les frondes, les luisances révulsées, les embrassades, les aimants déguisés, les irrépressibles nécessités de preuves.
Il est là. Un duel. Impatience primaire de connaître la suite. Au dessus du vide. Où jadis, mioche sur un fil suivant le bord du caniveau, il jouait à craindre de tomber dedans comme un oisillon et d'être emporté vers les égouts.
Devine-t-il un clin d'oeil d'un côté. Soupçonne-t-il un sourire de l'autre. Il n'y a rien ni personne qu'il envisage d'y voir se tenir.
Hors de gravité. Sur un trait d'union hésitant. Avec autour de lui des colonnes de volutes qui gonflent, se déploient, se dressent au gré de courants insensibles, s'affaissent et se dissipent les unes dans les autres. Un ballet maréen.
Il savait tenir. Un tableau fixé lors d'un moment déduit de toute l'existence, tout dit et tout à dire, tout su et rien pourtant, issue du plus lointain plein de tant de violence, et défaisant ses cercles astronomiques dans des mesures inconcevables. Quelques gestes d'esquisses d'un prestidigitateur font sortir d'une coque une fibule de plumes dans une vasque de fumigènes. Un laps de repaire dans les calendriers des combats. Le temps d'apprendre à dire il est toujours trop tôt puisqu'il ne se verse alors que des précipités. L'espace même déjà transforme les paroles. Et la question se tord d'une aiguille de plus.
Décomposer sans réfléchi. Ce serait cet ordre retrouvé d'un temps qui rétablirait son besoin dans le réduit d'éternité où se meut tout ce qui vit. Tout ce qui a été. Tout ce qui sera. Entre l'histoire sans livres dont l'expansion produit d'étourdissantes rêveries et d'inextricables délires, et le bref parcours de l'espèce qui cherche à le lire, couvrir, sait-on, les murs de pages millénaires, d'odyssées interminables, de langues étrangères, de chimères mathématiques, de reliques outragées, des monuments de secrets qui demeurent ensevelis sous les rites supérieurs.
Les dos, reliures, les bras élargis en lutrin, et plus de dévotion les têtes envolées. Plus de sang, seulement un nouvel air qui s'évaporerait, langes de doublures pourpres tendus sans complaisance en cieux intermédiaires sur le si peu d'être présent, phare hébété dans la tourmente.
Et savait revenir. Supporter devant lui la séparation d'avec le mystère nu. Puisqu'il y avait à faire, sans cesse, encore, et à marcher. Moins que devenir un de ces ballons aux formes reconnues de n'être qu'éclairées par de fausses curiosités. Une silhouette au fond qui passe réelle, et laisse après elle quelques phasmes de crayon à poursuivre ou à gommer selon les hésitations que s'accorde naturellement le pas du tout petit encore maladroit, encore prêt à trébucher.
Et savait revenir.
C'était un parapet sur un pont dans la ville et les eaux grosses de la saison s'étaient mises à mousser. Emulsion en un chant de folle soie aux essaims d'embruns.
Les terrains tout autour remontaient le sertir dans leurs rouages scéniques.
Il y avait une adresse dans le fond de sa poche.
Il serait en retard. Peut-être.

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