conte de Noël 2007

Publié le 07 janvier 2008 par Moinillon
Sacha plaça la carotte, recula de deux pas pour admirer le résultat. Encore un de fait. Il remit ses gants. Un bonhomme de Noël, ça se travaille à la main, c’est comme une pâte qu’on fait lever et qu’on flatte pour qu’elle devienne un beau pain blond. On n’a jamais vu un boulanger pétrir avec des moufles, quand même !
Il passa dans la cour suivante. Elle avait moins souffert que les autres, mais il hésita au moment de commencer et fit une rapide prière : qu’allait-il trouver cette fois-ci sous la neige, une grenade pas encore explosée, un corps déchiqueté ? Il se débarrassa de sa kalachnikov, sortit une bouteille de vodka de son havresac, but une longue rasade et croqua un bout de carotte pour calmer la brûlure de son estomac. Tant pis, sa prochaine sculpture aurait le nez cassé…
Quand il eut terminé son ouvrage, il s’accroupit et alluma une cigarette. Dans la brume du soir qui tombait il laissa son regard errer sur les façades muettes. D’un balcon dévasté pendait une luge. Il devina, derrière une fenêtre intacte, un visage collé à la vitre couverte de givre. Il ressortit la bouteille et l’agita dans la direction du survivant. Et se mit à siffloter. Un vieil air de par chez lui, à Irkoutsk, qu’on chante à Noël pour la veillée.
Djaffar apparut en haut des marches. Du pied, Sacha repoussa plus loin la mitraillette et lui fit signe d’approcher. L’adolescent, grelottant dans sa veste ouatinée en haillons, s’assit près de lui. Il but avec avidité au goulot et sortit de sa poche un vieil oignon noirci qu’il offrit à Sacha. Ils demeurèrent ainsi silencieux, buvant à tour de rôle, abîmés dans la contemplation du bonhomme de neige. Lorsqu’il fut temps pour lui de rejoindre son unité, Sacha se leva et, tapant des pieds pour se réchauffer, lança :
« Joyeux Noël, gamin !
– Joyeuse Paix, le Russe ! », répondit le jeune Tchétchène et ils se séparèrent.
Par Michèle Krakowski pour Réforme