L'incroyable destin de Clarisse Manzon(2)

Publié le 02 novembre 2010 par Mazet

Episode 2 – Un voyage pas si tranquille

Comme je l’avais pressenti, mon séjour parisien s’était brusquement arrêté. Lorsque j’ai rejoint la gazette et que j’ai raconté cette histoire d’assassinat, notre directeur n’a pas hésité.

- Tu retournes dans ton Rouergue natal. Cette histoire, c’est la chance de notre vie et surtout de la gazette. Tu vas me relater jour par jour le déroulement de l’affaire.

- Enfin, vous savez que mes parents n’habitent pas Rodez et qu’il faut presque une journée pour faire le trajet.

- Avec les relations de ton père, tu trouveras bien une logeuse qui t’hébergera à un prix raisonnable, je rajoute dix sous à ton salaire pour tes faux frais.

Je crois que je n’avais guère à discuter et puis cette affaire tombait à pic, pour retarder mon entrée dans l’atelier familial. Cette fois, je ne pourrai pas prétendre que c’était l’armée qui me retenait. Mon balluchon fut vite prêt. Je pris place à 11 heures dans l’inconfortable voiture entre un notaire et un marchand de draps. La compagnie n’était pas désagréable. Il valait mieux, le voyage allait durer quatre jours. Face à nous, en sens contraire à la marche, s’installèrent deux jeunes prédicateurs à face de carême. Les discussions ne devraient sans doute pas trop s’égarer, ni vers la politique, ni vers femmes. Chacun se présenta. Le notaire prit le plus souvent la parole, il se rendait à Clermont-Ferrand. C’était un de ces notables qui se passionnait pour l’agriculture et les techniques nouvelles. Il aurait pu disserter pendant des heures sur les vertus attribuées au trèfle incarnat et sur les multiples bienfaits du développement de la culture de la pomme de terre. Le marchand de draps émettait la plupart du temps des ronflements sonores à peine couverts par le bruit des essieux. Il se réveilla à notre premier arrêt un peu au sud de Fontainebleau. Il était 20 heures quand on s’engouffra dans une salle d’auberge, d’une relative propreté. Le tenancier, qui avait gardé son estanco ouvert juste pour nous, ne débordait pas d’amabilité. Il ne nous interrogea pas sur nos désidératas et nous servit d’office un mauvais bouillon et quelques morceaux de lard. La conversation roula vite sur l’activité des uns et des autres. Quand je me présentai comme le fils Alvergnat, tisserand à Villefranche-de-Rouergue, le marchand de draps ouvrit l’œil.

- Je ne connais pas personnellement tes parents, mais on m’en a dit le plus grand bien. Tu es fils unique ?

Je confirmai de la tête.

- Tu vas hériter d’une bien belle affaire, tu étais à Paris pour le commerce ?

- Non, j’étais retenu par l’armée, mentis-je effrontément.

Je sentais le notaire en ébullition, prêt à lancer une tirade contre les ultras qui ne pouvaient s’empêcher d’humilier les braves soldats de l’empereur, alors j’ai simplement ajouté.

- C’est moi qui l’ai voulu.

La discussion sur ce sujet était close. Je lançais.

- Quelqu’un de vous s’est-il rendu à Rodez ces temps derniers ?

- J’y étais vers le 25 mars, bien triste ville !

- Oui, mais est-ce qu’on y parle de l’affaire Fualdès ?

- Si on en parle ! A croire que cette histoire les a rendus fous.

- On a découvert les assassins ?

- Je comprends vos questions, c’est vrai qu’à Paris je n'en ai guère entendu parler. Pour l’instant on est sûr que ce brave Fualdès s’est fait saigner comme un cochon dans le bouge le plus sordide qui soit, dans la maison Bancal, rue des Hebdomadiers.

- Qui pouvait lui en vouloir à ce point ?

Baissant la voix, il se tourna vers moi.

- Des royalistes sûrement, n’oubliez pas que Monsieur Fualdès leur a mené la vie dure.

- Mais si ce sont des aristocrates qui ont fait le coup, pourquoi choisir ce bouge ?

- Je n’ai pas dit qu’ils l’avaient fait de leurs mains. Ils ont dû payer une bande de vauriens prêts à tout pour quelques pièces !

- Enfin, Fualdès était un homme important !

- Etait, car depuis la chute de notre empereur, il n’avait plus de charge officielle. Vous pensez bien que tous les nobles déchus, qui écumaient la campagne ruthénoise, avaient à craindre de lui.

Mon marchand de draps avait perdu toute prudence, le ton était monté, provoquant la fureur de l’aubergiste.

- C’est une maison sans histoire ici, si vous voulez faire de la politique, vous allez dormir à la belle étoile.

Nous comprimes l’avertissement et puis l’heure du sommeil était arrivée.