Nous poursuivons la traduction de ce texte qui, près de cent ans plus tard, demeure d'une surprenante actualité. Cf. article 1 et les articles suivants.
Ils n'ont pas toujours été bien imités. C'est l'une des raisons pour lesquelles on doit si souvent déplorer ce déséquilibre spéculativiste, qui expose à tant de déviations et de réactions violentes (2). Comme elle est étrange, cette espèce de naturalisme ou de rationalisme théologique, qui tend en quelque sorte à paralyser et à pétrifier et qui, en retour, provoque les effets délétères d'un rationalisme opposé ! Les uns invoquent des raisons - ou plutôt des déraisons - humaines pour présenter la vérité divine vivante comme statique et inerte, en la cristallisant, comme on dit aujourd’hui, pour la maintenir inaltérable, jusqu’à donner à l’Eglise un certain aspect rigide, comme celui d’un squelette ou d’un cadavre - renforçant ainsi les thèses de ceux qui la donnent pour morte. Ne manquent pas non plus les déraisons qui prétendent prouver le contraire, en présentant cette vérité comme sujette aux changements les plus radicaux des opinions humaines, et l’Eglise comme si elle était prise dans un tourbillon de révolutions et de transformations, à l’image des fausses religions et des empires terrestres. C’est à cela, en effet, qu’inclinent les tendances appelées modernistes. Ces dernières proviennent tout autant d’un manque de sens de la profondeur des vérités chrétiennes, qui conduit à voir dans les changements de la mode, si destructeurs soient-ils, le progrès et la vie attachés à ces vérités (3).
En ne faisant pas toujours droit, comme il le faudrait, à une légitime nouveauté d’expression et en ne présentant pas toujours la beauté de ce qu’il y a d’ineffable dans la vérité éternelle, on en est venu peu à peu à faire passer un certain nombre de gens de l’indifférence religieuse à cette haine aujourd’hui si répandue contre le “surnaturel”, à cette plaie du naturalisme qui étouffe et abrutit et dont la contagion se répand partout. L’influence naturaliste apparaît parfois jusque dans le langage d’un grand nombre de personnes qui passent pourtant pour être de bons catholiques et - ce qui est plus lamentable encore - dans le langage des ecclésiastiques. Il en est ainsi de ceux qui ont désormais honte de parler de miracles, parce que ce serait « peu scientifique », et qui ne voient plus en tout, comme ils le devraient - jusque dans les événements les plus humbles - les amoureuses dispositions du Père céleste, perdant ainsi de vue, par la même occasion, l’esprit filial avec lequel ils devraient les recevoir pour accomplir fidèlement, en privé comme en public, la mission très spéciale qui leur a été confiée.
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NOTES
(1) « La scolastique et la mystique se complètent mutuellement et se maintiennent en équilibre. La première donne à la seconde plus de clarté dans les idées et de propriété dans les expressions, évitant la formation de certains concepts obscurs et fantastiques. La seconde communique à la première chaleur et profondeur de sentiment, en la rapprochant des domaines de la vie ; et elle la préserve de tomber dans des abstractions excessives et dans l'oubli de la fin suprême à l'occasion de discussions particulières. C'est pourquoi les plus célèbres théologiens du moyen-âge étaient également versés dans la scolastique et dans la mystique. L'impulsion du coeur a parfois précédé le pénible travail de la recherche, et l'expérience interne a toujours aidé à l'acquisition d'une plus parfaite connaissance de Dieu » (Card. Hergenroter, Hist. Eccles. V, c. 32, § 2).
(2) Cf. Melchor Cano, De locis, L. VIII, c. 1, 4-5 ; L. IX, c. 1 et 7.
(3) « Le christianisme - disent les modernistes - est, pour la critique, un fait comme n’importe quel autre, soumis aux mêmes lois du développement, influencé par les mêmes causes politiques, juridiques et économiques, et capable des mêmes variations ». « A les entendre, on croirait que c’est une chose de progresser et de détruire les dogmes, les sacrements, l’essence de toute l’Eglise » (Cf. P. Groot, Op. Cit., p. 280).