Jeudi en poésie chez Les Croqueurs de mots
"Preque oubliée, la poésie ossianique, recueillie au XVIIIè siècle par James Mac Pherson dans les Hautes terres d'Ecosse, a profondément marqué la littérature européenne du début de l'époque moderne.
Ossian était le livre de chevet de Chateaubriand et de Napoléon qui ne s'en séparait jamais, même au combat.
Les bardes s’assemblaient tous les ans dans le palais du chef auquel ils étaient attachés.
Ils récitaient leurs poèmes ; le chef nommait ceux qu’il jugeait dignes d’être conservés, et on les apprenait avec soin aux enfants pour les transmettre à la postérité.
Ce fut une de ces fêtes solennelles qui fournit à Ossian le sujet de ce poème. Il est entièrement lyrique, et le rythme en est très varié dans l’original gaélique."
Cette œuvre est une pure merveille.
Les chants de Selma
Blanche étoile, chaste regard de la nuit, diamant lumineux au front d’azur du crépuscule, que vois-tu dans la plaine ? Les bruits du jour ont cessé ; les vents se taisent ; l’écho du torrent semble s’évanouir ; les vagues, aplanies, rampent au pied des rochers ; les moucherons, voltigeant parmi les parfums du soir, remplissent de bourdonnements le silence des airs. Étoile brillante, que vois-tu dans la plaine ? Mais déjà ta douce lueur descend peu à peu sur les bords de l’horizon. Les flots de la mer s’entrouvrent pour te recevoir, et baigner, ô fille du ciel, ta chevelure argentée !
Adieu, étoile silencieuse ; que le feu de mon génie s’allume à ta place.
Je sens qu’il se ranime sous les glaces de mon âge ; je revois, à sa clarté, les ombres de mes amis rassemblés sur la colline de Lora ; j’y vois Fingal au milieu de ses héros.
Je revois les bardes mes rivaux, le vénérable Ullin, le majestueux Ryno, Alpin à la voix mélodieuse, la tendre et plaintive Minona !
Ô mes amis ! que vous êtes changés, depuis ces jours où, dans les fêtes de Selma, nous disputions le prix du chant, semblables aux zéphyrs du printemps, qui se jouent sur la colline, et du bout de leurs ailes, avec un doux murmure, caressent mollement l’herbe naissante !
Ce fut dans une de ces fêtes qu’on vit la tendre Minona s’avancer pleine de charmes. Ses yeux baissés s’humectèrent de pleurs au souvenir du passé, et quand elle éleva sa voix mélodieuse, les héros attendris se penchèrent pour l’écouter. Elle chanta les tristes amours de Salgar, qui gît aujourd’hui sous la terre, et de l’infortunée Colma, qui dort auprès de lui son dernier sommeil. Salgar lui avait promis de revenir avant la fin du jour ; mais la nuit descend autour d’elle : elle se voit seule sur la colline déserte, abandonnée. Écoutons sa plainte, ô mes amis.
Colma
Il est nuit ; je suis seule sur cette colline, et les nuées d’orage s’amoncellent. J’entends gronder les vents dans les flancs de la montagne ; le torrent, gonflé par la pluie, rugit le long du rocher. Je ne vois point d’asile qui puisse m’offrir un abri. Hélas ! je suis seule et délaissée !
Lève-toi, lune, flambeau des nuits, sors du sein des montagnes ! Blanches étoiles, parsemez le voie des cieux ! Quelque lumière bienfaisante ne me guidera-t-elle point vers les lieux où est mon bien-aimé ? Peut-être se repose-t-il, en quelque lieu solitaire, des fatigues de la chasse, son arc détendu à ses côtés, et ses chiens haletant autour de lui ?…
Hélas ! faudra-t-il donc que je passe la nuit, abandonnée sur cette colline ! Le bruit des torrents et des vents redouble encore, et je ne puis entendre la voix de mon bien-aimé !
Extrait des « chants de Selma » Poèmes Ossianiques
Livre Saga des Hautes terres
Edition libres Hallier