“Je cherche le silence et la nuit pour pleurer”, les mots de Chimène dans Le Cid. Les hommes que je contemple veulent le contraire. Surtout pas la nuit, surtout pas le silence. Encore moins les pleurs. Rien qui puisse ressembler au temps.”
Yasmina Reza in L’Aube le soir ou la nuit – Flammarion (2007)
En 2007, Yasmina Reza a obtenu l’autorisation de suivre Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle. De cette expérience, elle a écrit un livre qui regroupe ses réflexions quant à ce milieu si particulier qu’elle a eu l’occasion de fréquenter pendant près d’un an. Du combat à l’Histoire, du charisme au destin, de l’Ombre à la Lumière, du passé au futur, elle s’est attardée à chacune des facettes de ce qui fait un homme politique aujourd’hui. Si son récit a la forme d’un carnet de bord, Yasmina Reza s’est servie de la chronologie induite par la narration pour dresser un portrait sans ambages, à la fois sulfurique et réaliste de cet homme qui allait devenir Président de la République.
À l’époque, j’ai lu ce livre parce qu’il portait un regard littéraire sur une actualité brûlante en apportant des réflexions et une analyse que ne permettait peut-être pas le journalisme. Ce livre, je l’ai relu la semaine dernière. Je l’ai relu par curiosité, en l’appréhendant au regard de la présidence de la République de Nicolas Sarkozy et de l’actualité de ces trois dernières années. Yasmina Reza avait-elle déjà posé les jalons de ce que l’avenir nous a prouvé ?
Si cette deuxième lecture a effectivement permis une mise en perspective du personnage de Nicolas Sarkozy, elle a surtout permis de retirer ce costume lisse et institutionnel que lui a imposé la fonction, même si les média ont souvent dépeint un Président de la République décisionnaire, incisif et omniprésent. Ce que je veux dire par là, c’est que grâce à cette relecture, Nicolas Sarkozy est redevenu un homme, avec un langage, des névroses et des failles sur lesquelles Yasmina Reza a mis des mots. Il est en fait apparu sous son vrai jour : impertinent, insolent, irrespectueux, fier et capricieux. Comme un enfant. C’est d’ailleurs un mot qui revient souvent dans ce livre. Pas une seule faille ne transparaît dans les mots qui nous sont rapportés en tant que tels par l’auteure. Pourtant, tout est dans le langage. Cette absence de faille manifeste dans le discours traduit la présence d’une angoisse béante propre à ces anxieux hyperactifs, qui ont une très haute estime d’eux-mêmes et pour lesquels l’environnement ne se comprend que selon leur point de vue.
Cette angoisse, qui reviendra souvent dans l’actualité, s’avère apparemment être propre à ces hommes politiques dont les ambitions sont telles qu’elles finissent par dicter et régir leurs comportements, leurs choix, leurs projets. Leurs vies. Cette angoisse, c’est celle du temps.
Le temps, c’est la première chose qui lie les hommes entre eux. C’est la seule chose commune à tous, au règlement de laquelle personne ne peut se soustraire. C’est angoissant pour un ambitieux d’être remis à sa place par la seule chose qu’il ne peut théoriquement pas dominer. À partir de ce constat, toutes ses actions sont régies par ce continuum qui place la maîtrise du temps au coeur de la cible. Ce facteur temps impacte donc sur de multiples facettes de la vie politique française et de ses analyses. De la théorie de l’Agenda – qui consiste pour l’homme politique à nourrir les média d’informations soigneusement ciblées et hiérarchisées de sorte que ses intérêts stratégiques soient servis – à la métrique des discours, à l’âge et aux impondérables, le jeu politique ne se joue pas seulement avec les pions de l’idéologie, mais aussi avec ceux de la montre.
D’autre part, dans une dimension beaucoup plus psychologique, les ambitieux comblent les manifestations du temps qu’ils fuient avec l’action. L’évitement du temps est une question de survie pour ceux qui ne supportent pas le rien, susceptible de les mener sur le chemin du questionnement, de l’introspection ou de la remise en question. Comme le dit Reza, “Surtout pas la nuit, surtout pas le silence”. Le temps est un miroir qu’il est difficile d’affronter.
“Le Président de la République est le maître du Temps.”
François Baroin, Ministre du Budget – Journal de France 2 du 4 novembre 2010
Alors quand on assiste aux dérapages de langage de Messieurs Lancar, Hortefeux et autres Copé dus souvent à la précipitation, à l’égo et l’ambition enfantine, je me demande si l’avenir de l’homme politique ne se situe pas d’abord dans la redéfinition de la notion de responsabilité, puis dans la nécessité de reconnaître que le temps n’est pas un ennemi contre lequel il faut se battre, mais plutôt un allié synonyme de recul, d’analyse, de pondération et surtout, d’humilité.