Londres - Paris, fin octobre

Publié le 05 novembre 2010 par Alainlecomte

Londres, Paris… fin octobre, par Eurostar, que je n’avais jamais pris jusqu’ici, drôle d’impression de joindre en si peu de temps les cœurs de ces deux villes. Départ Gare du Nord, arrivée Saint Pancras, la nuit déjà. L’hôtel n’était pas loin, près de Russell square, dans le quartier de Bloomsbury, rendu si célèbre par son cercle d’initiés, auquel participaient Virginia Woolf, sa sœur Vanessa, le critique d’art Roger Fry, l’économiste John Maynard Keynes et même Bertrand Russell - mais le square tire son nom non pas de l’illustre logicien philosophe mais de son père, John, un premier ministre resté dans l’histoire. Travail à l’université (King’s, Queen Mary’s etc.), puis, le dernier jour, un peu de temps libre, oh, un rien, juste de quoi marcher un peu le long de la Tamise, traverser le pont de Waterloo, aller sur la rive sud, un peu trop d’attractions de cirque, un peu trop de monde sous la grande roue, décidément peu esthétique, repasser le pont à Westminster, encore marcher au hasard avant, après avoir hésité (j’aurais bien aimé aller visiter l’expo Gauguin, à la Tate Modern, mais décidément trop de monde - trois jours après, à Paris, je verrais Monet, ça suffit bien) après avoir hésité donc, d’entrer à la Galerie Courtauld , dans Somerset House. Intérêt des galeries de taille réduite, avec peu de visiteurs, où l’on peut s’attarder devant les tableaux, sans bousculade, sans qu’on vous pousse, ôte-toi de là que je m’y mette, et en plus mon goût de Gauguin était satisfait puisque deux toiles avaient échappé à l’appétit d’ogre de la rétrospective qui avait lieu à une encablure, dont l’une des plus célèbres, le rêve (« Te Rerioa »).

Mais outre Gauguin, la galerie Courtauld renferme bien des trésors, des primitifs italiens au néo-impressionnisme. Et entre autres, cette fameuse serveuse aux Folies Bergères, de Manet, souvent vue en reproduction, mais peut-être jamais vraiment regardée. Avez-vous vu comme elle est totalement impossible ? Derrière elle se trouve un grand miroir, mais rien dans le monde du reflet ne se révèle à sa place, ainsi l’homme qu’on voit à droite, un reflet, mais de quoi, de qui, de quel homme réel ? Si ce dernier était vraiment à la place qui convient à son reflet, il nous boucherait tout simplement la vue !
Dans les tableaux, ce qu’il y a d’intéressant, c’est ce qu’on croit voir, et qu’on ne voit pas parce que ça n’existe pas ou bien au contraire ce qu’on ne voit pas alors qu’on devrait le voir. (C’est ce que disait le critique d’art Daniel Arasse dans un livre qui, je crois bien, s’appelait « on n’y voit rien »).

Par exemple, cette Famille de Jan Breughel l’Ancien, par Rubens, est donnée comme exemplaire de la façon dont un peintre peut nous montrer des propriétés immatérielles : l’union profonde d’une famille, rendue par une composition parfaite qui trouve son centre dans la convergence des mains de la mère et des enfants. On y croit tellement que la main posée sur l’épaule du petit garçon, on la croit celle du père, dont le bras envelopperait ainsi tout le groupe, mais si on réfléchit un peu, on réalise son erreur… cela lui ferait un bras bien trop long ! Non, la main du père est bien là, mais à droite du tableau, tapie dans l’ombre.

Quant à ce petit Cézanne, c’est autre chose. Tout y est de guingois, la pomme verte, au loin, est bien trop grosse pour la perspective, la table semble chavirer et le petit bonhomme boursouflé (Cupidon ?) tient miraculeusement en équilibre, mais peut-être justement était-ce ce que voulait dire Cézanne… le monde autour de nous ne tiendrait-il qu’à un fil ?
Mais la peinture n’est pas qu’un art cérébral… l’extraordinaire « Torso », de Kees van Dongen, nous le rappelle, ou bien un magnifique nu de Modigliani…