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Les premiers chrétiens : Les Actes des martyrs (3)

Publié le 06 novembre 2010 par Hermas

SECTION III : ACTES DU MARTYRE DES SAINTES FELICITE ET PERPETUE (Carthage, 7 mars 203)

 

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Ces Actes constituent un récit hautement significatif (1), qui nous permet de nous faire une idée, fût-elle approximative, des exigences attachées au christianisme, aussi bien dans la vie publique que dans la vie en société ou dans la famille. L’exemple donné par Perpétue est une illustration manifeste du primat des exigences de la foi sur les liens du sang ou de la famille.


« De jeunes catéchumènes furent arrêtés, Revocatus et sa compagne d’esclavage Félicité, Saturninus et Secundulus ; parmi eux, il y avait aussi Vibia Perpetua - Perpétue - de naissance honorable, instruite dans les arts libéraux, matrone par son mariage. Elle avait son père et sa mère et deux frères, l’un également catéchumène, et un fils, un bébé encore au sein. Elle avait environ vingt-deux ans. C’est elle même qui, à partir d’ici, raconta toute l’histoire de son martyre, telle qu’elle la laissa écrite de sa main et selon son idée.


« Pendant que nous étions encore, dit-elle, avec ceux qui nous avaient arrêtés, mon père essayait par ses paroles de me fléchir et s’obstinait, par affection pour moi, à provoquer ma chute. “Père, dis-je, vois-tu par exemple ce vase posé là, cette cruche ou autre chose ?” Il dit : “Je le vois”. Et moi de lui dire : “Est-ce qu’on peut l’appeler d’un autre nom que ce qu’il est ?” Il dit : “Non” - “De même, moi non plus, je ne puis me dire autre chose que ce que je suis, une chrétienne”. Alors mon père, excité par ce mot, se jeta sur moi comme pour m’arracher les yeux, mais il me frappa seulement et s’en alla, vaincu avec ses arguments du diable.


[Ndt : Perpétue raconte ensuite les souffrances de son incarcération et de la privation de son bébé, qui lui fut remis : “La prison devint soudain pour moi un palais”, et sa première vision, d’un échelle bordée d’instruments de torture, au pied de laquelle est Satan, prêt à mordre, et que chacun de ses compagnons et elle-même gravissent].


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« (...) Quelques jours plus tard, le bruit courut que nous allions être interrogés. Mon père arriva alors de la ville, dévoré de chagrin, et il monta me voir pour essayer de provoquer ma chute en disant : “Aie pitié, ma fille, de mes cheveux blancs, aie pitié de ton père, si je suis digne d’être appelé ton père ; si je t’ai conduite de ces mains à la fleur de ton âge, si je t’ai préférée à tous tes frères ; ne me livre pas au déshonneur devant les hommes. Pense à tes frères, pense à ta mère et à ta tante, pense à ton fils qui ne pourra vivre après toi. Renonce à ta résolution, ne nous anéantis pas tous : aucun de nous ne pourra parler librement, si tu dois souffrir quelque chose”. Il disait cela comme un père plein d’amour pour moi, me baisant les mains, se jetant à mes pieds ; en pleurant, il ne m’appelait plus sa fille, mais sa dame. Et j’avais de la peine à cause de mon père, car c’était le seul de toute ma famille à ne pas se réjouir de ma passion. Je l’ai réconforté en lui disant : “Il arrivera sur cette estrade [Ndt : castata : le lieu d’interrogatoire et de torture] ce que Dieu voudra. Sache que nous ne sommes pas laissés en notre pouvoir, mais en celui de Dieu”. Et il me quitta en grande tristesse.

 

« Un autre jour, pendant que nous prenions notre repas, on nous emmena subitement pour être interrogés et nous arrivâmes au forum. Le bruit se répandit aussitôt dans les environs du forum et une foule immense se rassembla. Nous montâmes sur l'estrade. Interrogés, les autres firent leur confession de foi. On en vint à moi et mon père apparut soudain avec mon fils ; il me tira de la marche et me dit : “Sacrifie, aie pitié de ton enfant.” Le procureur Hilarianus, qui avait alors reçu le droit de glaive à la place du proconsul Minucius Timinianus, décédé, me dit : “Epargne les cheveux blancs de ton père, épargne l'enfance de ton fils, fais le sacrifice pour le salut des Empereurs”. Je répondis : “ Je ne le fais pas.” Hilarianus me dit : “Tu es chrétienne ?”, et je répondis : “Je suis chrétienne.” Et comme mon père se tenait près de moi pour provoquer ma chute, Hilarianus ordonna de le repousser et on le frappa d'un coup de verge. J’eus de la peine pour ce qui arrivait à mon père, comme si j’avais été frappée moi-même, j’eus de la peine aussi pour sa vieillesse malheureuse. Alors le procurateur prononça la sentence sur tous et nous condamna aux bêtes, et tout joyeux nous revînmes à la prison.


[Ndt : Perpétue poursuit son récit en racontant une deuxième vision, au cours de laquelle elle vit son jeune frère Dinocrate, mort à l’âge de sept ans d'un cancer du visage. Elle le vit souffrir et après maintes prières « comprit qu’il avait été déchargé de sa peine. »]


« (...) Ensuite, quelques jours après, un sous-officier appelé Pudens, qui était chargé de la prison, commença à nous tenir en grande estime car il comprenait la grande force qui était en nous. Il laissait beaucoup de visiteurs venir nous voir et nous nous réconfortions mutuellement. Mais comme approchait le jour des jeux, mon père entra me voir, consumé de chagrin, et il se mit à arracher sa barbe, à se jeter par terre, à se prosterner la face contre terre, à maudire son âge et à dire de telles paroles qu'elles auraient ému toute créature. Et moi j'avais de la peine pour sa vieillesse malheureuse ( à suivre).

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Note

(1) Ndt.- Cette Passion de Perpétue et Félicité est également remarquable parce que l’essentiel en a été écrit par sainte Perpétue elle-même. Longtemps on considéra que le prologue [en partie cité ici] et la conclusion de cette Passion était du grand Tertullien. Nous suivons en partie ici la traduction de Pierre Maraval, dans Actes et passions des martyrs chrétiens des premiers siècles, éd. du Cerf, 2010, pp. 117 ss.

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