Elle ne s'aime pas vraiment. Pourtant elle s'idolâtre. Chez elle il n'y a qu'elle. Au mur, ses photos – les photos d'elle-même –, ses dessins, ses "toiles". Sur les meubles, les étagères, encore des photos d'elle. Sous toutes formes de cadres, dans toutes sortes de poses. Des photos d'elle avec des "célébrités", aussi. Ce clown de télévision qui l'embrasse, un soir de gala estival. Ce comédien déjà un peu âgé, cette chanteuse de gospel qu'elle ne connaissait pas la veille, ce conseiller général qui la serre en faisant des mines, en plein comice. Elle en est très fière.
Quand elle invite c'est pour qu'on la félicite, qu'on l'encense, qu'on la glorifie. Elle accepte tous les compliments, elle les croit, ils lui paraissent faits pour elle. Quand elle est invitée, elle se débrouille pour remettre son présent à l'hôtesse au milieu de l'attroupement. Elle compte bien faire attroupement. Tout le monde assiste au déballage. Le présent est de sa main, forcément. Un petit tableau, une esquisse, une délicatesse de sa composition. Elle rosit sous le remerciement, s'empresse de répondre aux mille et une questions sur l'objet, minaude ses secrets d'artiste. Le reste de la troupe attend.
Pourtant elle ne s'aime pas. Les gens qu'elle a pour compagnie familière la dégoûtent vaguement. Elle se déteste de les avoir choisis, et leur en veut. Le compagnon qui la fait vivre n'est pas à la hauteur, c'est pour ça qu'elle vit mal. Elle le pense vraiment. Elle le lui signifie, aussi souvent que possible. Et s'apitoie de cette querelle qu'elle a déclenchée. Elle s'apitoie sur elle, évidemment. Pas sur le compagnon défraîchi si peu à la hauteur, qui soigne son stress d'humilié chez le cardio le plus proche. Tout ça, depuis le temps, l'a un peu démoli. Il n'est plus très en forme...
Elle enrage de vivre ici. Avec lui, elle enragerait de vivre ailleurs. Mais pour l'instant c'est ici, et tout est laid et gris. Tout ce qui est proche du compagnon est vil, insupportable : famille, amitiés, et même animaux de compagnie. Ils auraient été ses plus attentionnés soutiens, elle leur ferme sa porte. Il ne lui reste que ses "relations" à elle. Les siennes, bien en propre. Forcément reluisantes. Hélas elle les jalouse. "On" leur fait une si belle vie, à elles. Et pourtant c'est bien elle qui le mériterait... Elles aussi la jalousent. Sa beauté, sa jeunesse, sa fraîcheur, son talent... Elles médisent dans son dos, elle n'en est pas dupe.
Elle a fait le vide autour d'elle, et ça la rend malade. C'est bien de leur faute, aussi, ils la méritent si peu... Mais elle s'en veut beaucoup. Tout ça, depuis le temps, ça l'a un peu démolie...
(Photo : Manoureva, "Dark Moon Side")