[Ndt : Suit le récit d’une troisième vision, où Perpétue se voit combattre dans l’arène un égyptien, image du diable, dont elle triomphe et foule la tête,
acclamée et couronnée avant d’aller vers « la porte de la Vie Sauve ». Elle raconte aussi les propres visions de Saturus].
« (...) Quant à Félicité, la grâce de Dieu la
toucha elle aussi de la façon suivante : elle était enceinte lorsqu'elle fut arrêtée, et comme elle en était au huitième mois et que le jour du spectacle approchait, elle était en grande
tristesse à l'idée qu'elle aurait un sursis à cause de sa grossesse [car la loi n’autorisait pas l'exécution des femmes enceintes] et qu'elle répandrait plus tard son sang innocent et saint en
compagnie de scélérats. Ses compagnons de martyre s’attristaient fort aussi de laisser une aussi bonne associée, comme une compagne de voyage, seule sur la route de la même espérance. Aussi,
deux jours avant les jeux, ils répandirent leurs prières devant Dieu avec un gémissement unanime. Aussitôt après la prière, des douleurs la saisirent, et comme elle peinait et souffrait à cause
de la difficulté naturelle d'un accouchement au huitième mois, l’un des gardes assistants de la prison lui dit : “Toi qui souffres ainsi maintenant, que feras-tu en présence des bêtes, que
tu as méprisées quand tu n'as pas voulu sacrifier ?” Elle répondit : “Maintenant, c'est moi qui souffre ce que je souffre, mais là-bas, un autre en moi souffrira pour moi, parce que
moi, je souffrirai pour lui.” Elle donna naissance à une fille, qu'une soeur éleva comme son propre enfant.
« (...) Au tribun qui les traitait sévèrement - il craignait, sur les avertissements de gens de rien, qu’ils ne s'évadent de la prison par quelques incantations
magiques - Perpétue déclara en face : “Pourquoi donc ne nous permets-tu pas de nous restaurer, nous qui sommes les plus nobles des condamnés, car nous le sommes de César, et nous allons
combattre pour son anniversaire. N’y va-t-il pas de ta réputation qu'on nous produise un peu plus gras ?” Le tribun fut très surpris et rougit ; aussi ordonna-t-il qu'ils soient
traités plus humainement, de sorte que ces frères et d'autres avaient la permission d'entrer et de se restaurer avec eux. Le sous-officier de la prison [Pudens] était lui-même croyant.
[Ndt : Perpétue racontre la veillée puis ce qu’elle appelle “le jour de leur victoire”, avec la mort de ses premiers compagons dans l’arène].
« (...) Pour les jeunes femmes, le diable prépara une vache furieuse choisie contre la coutume pour qu'il y
ait correspondance entre leur sexe et celui de la bête. Aussi on les présenta nues et placées dans des filets. La foule fut horrifiée quand elle vit l’une, une délicate jeune fille, et l'autre,
dont les seins gouttaient de lait par suite de son récent accouchement. Aussi on les rappela et on les revêtit de tuniques sans ceinture. Perpétue, la première, fut jetée en l'air et retomba
sur le dos. En se rasseyant, elle rajusta sa tunique, déchirée sur le côté, pour couvrir sa cuisse, plus attentive à la pudeur qu’à la douleur. Ensuite, elle demanda une épingle et rattacha ses
cheveux épars : il ne convenait pas, en effet, qu'une martyre souffre avec les cheveux en désordre, pour ne pas sembler être en deuil dans sa gloire. Alors elle se leva, et comme elle voyait
Félicitée à terre, elle lui tendit la main et la releva, et toutes les deux se tinrent debout côte à côte. Comme la cruauté de la foule était vaincue, elles furent rappelées à la porte de la
Vie Sauve. Là, Perpétue, accueillie par un nommé Rusticus, qui était encore catéchumène et se tenait près d’elle, se mit à regarder autour d'elle comme si elle s'était réveillée d'un songe
[tant elle avait été dans l'Esprit et en extase] et, à la stupeur de tous, elle dit : “Quand allons-nous être présentées à cette vache ou à je ne sais quoi ?” Lorsqu'elle
apprit que cela avait déjà eu lieu, elle ne le crut pas avant d'avoir constaté quelques traces de cette attaque sur son corps et sur son vêtement. Ayant ensuite appelé son frère et ce
catéchumène, elle leur parla en ces termes : “Soyez fermes dans la foi, aimez-vous tous les uns les autres, et ne soyez pas scandalisés par nos souffrances.”
[Ndt : Perpétue raconte ensuite le sacrifice de Saturus, qui offre sa vie pour Pudens, pour l’affermissement de sa foi].
« (...) Comme le public réclamait qu’on les ramène au milieu de l’arène, pour faire de leurs yeux des associés de
leur homicide lorsque le glaive pénétrerait dans leurs corps, ils se levèrent tous et se rendirent là où le voulait le public en s’étant auparavant embrassés les uns les autres, pour consommer
leur martyre par le rite solennel de la paix. Les autres reçurent le coup mortel immobiles et en silence, surtout Saturus, qui était monté le premier et fut le premier à rendre l’esprit, car il
attendait Perpétue. Or Perpétue, pour qu’elle puisse goûter la douleur, frappée entre les os, poussa un long gémissement, et elle-même dirigea la main hésitante du jeune gladiateur vers sa
gorge. Peut-être une telle femme, qui était redoutée de l’esprit immonde, n’aurait-elle pu être tuée autrement qu’elle ne l’avait voulu elle-même.
« Ô martyrs très vaillants et très bienheureux ! Ô véritables appelés et élus dans la gloire de notre Seigneur Jésus-Christ ! Celui qui l’exalte, lui rend honneur
et l’adore doit lire aussi ces exemples, qui ne sont pas inférieurs aux anciens, pour l’édification de l’Eglise. Ainsi, de nouvelles vertus attestent que c’est l’unique et toujours le même
Esprit Saint qui opère encore aujourd’hui, ainsi que Dieu le Père tout-puissant et son Fils unique Jésus-Christ notre Seigneur, à qui appartiennent splendeur et pouvoir sans mesure dans les
siècles des siècles. Amen ! »
Fin de la Passion de Perpétue.