Episode 3
Le voyage se poursuivit ainsi quatre jours. Dès la fin du deuxième, les conversations s’étaient apaisées, on avait essayé d'oublier la politique. En traversant le département du Cantal, on apercevait çà et là les restes d’un hiver qui ne voulait pas mourir. La campagne ruthénoise n'offrait pas un spectacle plus reluisant. Les maisons au toit de pierre abritaient dans la même pièce parents, enfants, bétail dormant sur la même fougère. Les maléfices et les superstitions y circulaient avec les courants d'air. Enfin au matin du 4 avril, on aperçut la cathédrale de Rodez. De mes souvenirs lointains de la ville, c’était la seule image qui émergeait. Une superbe flèche gothique qui flottait au-dessus d'un amas de masures. Je fus rapidement plongé dans une atmosphère proche de celle des quartiers les plus sombres de la capitale. Le conducteur de la malle poste eut l'obligeance de me déposer chez un ami de mon père, Blaise Carrère, libraire de son état. Sa boutique se trouve à l'angle de la cité. Je ne l'ai pas vu depuis une bonne dizaine d'années. Le cheveu est devenu un peu plus clairsemé et les favoris un peu plus gris. Mais la chaleur de l'accueil n'a pas diminué.
- Gilbert, tu aurais pu prévenir de ton arrivée! Comment vont tes parents?
Il est un peu étonné quand je lui apprends la raison de ma visite.
- Je ne comprends pas, je croyais que tu devais prendre la suite de ton père.
- C'est prévu, mais dans quelques mois. J'ai promis de suivre un peu cette affaire Fualdès et d'en faire un compte rendu dans la Gazette.
- Il faut bien que les Parisiens s'ennuient pour s'intéresser à une histoire aussi piteuse!
- C'est l'idée de mon patron. Comme vous, je ne suis pas sûr qu'elle passionne les foules. Dans un mois, tout le monde aura peut-être oublié.
- En attendant, c'est une affaire bien triste! Ce pauvre Fualdès ne méritait pas çà.
- Peut-être pourrons-nous aller voit les lieux ?
- D’accord, mais avant, restaure toi, et je commencerai à te raconter l’affaire.
Sans façon, nous passâmes de la boutique à la cuisine. Depuis que mon père m’avait amené en visite chez son ami, la même gouvernante régentait la maison avec un mélange d'autorité et de bonhommie.
- Tiens, Gilbert, on te croyait mort à Waterloo.
Je lui expliquai rapidement mes deux années de vie parisienne et les raisons de ma visite.
- C'est pas un métier çà, Gilbert. Tu ferais mieux de retourner à la filature soulager ton père.
- C'est ce que je ferai, dès que l'affaire sera terminée, le dénouement arrivera sans doute dans les prochaines semaines.
Elle haussa les épaules d'air dubitatif.
- J'en suis pas aussi sûre.
Sur ce, elle me servit une grande écuelle de soupe, dans laquelle flottaient quelques morceaux de melsat, 1un vrai délice. Pendant que je me régalais, mon hôte commença le récit de l'affaire.
- L'histoire a débuté le 20 mars dernier. Comme elle se rendait à Monastère-sur-Rodez, la femme Soulacrou a aperçut, à hauteur du Moulin de Besses, un paquet qui flottait sur l'Aveyron. Prise de doute, elle a appelé à l'aide le meunier Foulquier. Armés d'une perche, quatre hommes ont ramené sur la berge le corps d'un homme. Ils n'ont eu aucun mal à l'identifier. Il s'agissait d'un notable bien connu dans la région, Me Fualdès, ancien procureur impérial au criminel. Sa gorge portait une plaie béante, il n'était pas tombé accidentellement dans l'Aveyron ! En l'espace d'un éclair, la nouvelle s'est propagée dans la ville encore assoupie. Une véritable armée s'est précipitée sur les berges de la rivière. Personne n'avait vu le cadavre, mais chacun trouvait quelque chose à dire. Quelques personnes se sont rendues au domicile du commissaire Constans.
- Je n'en ai jamais entendu parler, même par mon père.
- C'est un brave homme, mais qui a du mal à supporter la populace chicanière du Rouergue. Quand il est arrivé à son bureau, une véritable meute l'attendait. Tout le monde prétendait aider la justice. On dénonçait déjà un « coup des royalistes ». Il les a sèchement repoussé. Mais deux minutes après, il a retrouvé sur son bureau, la canne à pommeau d'argent et un « mouchoir de nez » ayant appartenu à Me Fualdès. Ces deux objets ont été retrouvés par Marie Chassan, la boulangère. Elle a buté sur la canne à l'angle du Terral et de la rue des Hebdomadiers. Il en a conclu que c'était dans cette rue, que l'infortuné procureur avait trouvé la mort.
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1sorte de saucisse à base de pain, œuf, gras de porc. Traditionnellement cuit dans la soupe