La loi du silence

Publié le 10 novembre 2010 par Bizz
Élever un enfant, c'est accepter de vivre dans la contradiction. Je ne parle pas ici du fait que la progéniture contredit ce que papa et maman disent, j'y reviendrai sans doute dans la prochaine année pendant que Bébé fille se dirigera lentement mais très sûrement vers le terrible two. Non, je parle de la contradiction qui habite chaque parent, celle qui amène son lot de culpabilité et inquiétude parentale. Bref, qui cause des insomnies, pour ne pas dire des migraines.
Dans la maison de nouveaux parents, s'il y a bien quelque chose qui éveille des sentiments contradictoires, c'est la notion du silence. Vous savez, cette absence totale de bruit, principalement les bruits créés par un bébé. Quand bébé traverse une douloureuse période de coliques, en tant que parent, nous espérons de tout coeur le retour rapide du silence. Pour le bien-être de bébé, d'abord, puisque le silence est alors synonyme de fin de la torture abdominale. Pour notre propre bien-être, ensuite, pour ne pas dire notre santé mentale. Bébé à nouveau calme, endormi, nous le déposons dans sa chambre pour un repose bien mérité et savourons le silence après la tempête. Et qu'est-ce qu'on fait par la suite? Nous poursuivons la lecture de notre roman palpitant dans un silence complet et orgasmique? Non. Avant de nous plonger dans la lecture, nous prenons soin d'installer le petit moniteur (vous savez, les espèces de walkie-talkie pour maman-poule) tout près de notre oreille, pour entendre la respiration de notre petit amour. Fini le silence, nous voilà le nez dans un livre avec un désagréable shhhhhhh dans l'oreille, ponctué des petites respirations de bébé à peine âgé de quelques semaines. Une heure passe. Déjà une heure? Que le temps passe vite dans le silence. Le silence. Le silence? Nous réalisons que nous n'entendons plus la respiration de bébé! Ce maudit silence, il nous donne des sueurs froides. En panique, nous montons dans la chambre s'assurer que bébé respire toujours. Évidemment, il respire toujours. Le silence nous apparaît alors moins inquiétant. Tout ça, dans la même heure. Ouf.
Quand bébé est plus grand, plus autonome et donc, plus apte à affirmer ce qui lui plaît et surtout, ce qui lui déplaît, la loi du silence se corse. Après quinze longues minutes passées dans les pleurs de protestation de bébé que l'on essaie d'enfiler dans son habit de neige en vue du départ à la garderie, nous ne pouvons qu'espérer le silence pour le trajet en voiture. Espoir vain, nous le savons bien sûr, car pour bébé, être confiné dans un habit de neige lui-même prisonnier des sangles du siège d'auto, c'est une torture qui doit être dénoncée aux Nations Unies. Dénoncée haut et fort, quitte à rendre maman sourde. Une fois bébé à la garderie, de retour dans la voiture enfin silencieuse, nous profitons du fait que nos oreilles ne sont stimulées par rien d'autre que le bruit du moteur. Moment d'extase. De courte durée. En route vers le bureau, ce silence, si bienfaiteur il y a quelques minutes à peine, commence à nous peser, nous rappelant sauvagement que la journée se passera loin de bébé et de ses sourires. Et nous allumons la radio pour chasser ce silence nostalgique.
Le soir, alors que papa et maman discutent de leur journée respective autour d'un bon souper, bébé prend soin d'expédier cedit souper un peu partout dans la salle à manger. Nous grondons bébé qui réplique avec vigueur et papa se prend la tête à deux mains, souhaitant simplement manger en paix. Bébé sorti de table, il s'amuse tranquillement dans le salon. Les parents profitent de ce calme silencieux pour se faire aller les mâchoires en jasant et dégustant. La conversation va bon train. Conversation qui se stoppe net lorsque, malheur, nous constatons que bébé est beaucoup trop silencieux. Mauvais signe, très mauvais. Depuis combien de temps est-il silencieux comme cela, s'interrogent les parents. Inquiète, nous nous levons de table et partons à la recherche du bébé tellement calme que ça ne présage rien de bon. Pas dans le salon. Ni dans la cuisine. Le coeur battant, nous le décrouvrons dans la salle de bain, en train de compléter son souper avec la bouteille de shampooing à moitié vidée sur le sol, à moitié dans son estomac. Il a une haleine de pamplemousse énergisant et nous avons une haleine de mère complètement paniquée qui téléphone en quatrième vitesse au centre anti-poison. Heureusement, nous sommes rassurée par l'agente qui nous confirme que le shampooing ne causera aucun problème à bébé, excepté que ses prochaines couches embaumeront la pièce.
Je me console en me disant que ce sera sans doute pire quand Bébé fille sera adolescente et que sa chambre baignera dans un étrange silence à glacer le sang, alors qu'elle y sera accompagnée de son nouveau chum. God.