C’était donc il y a quarante ans ! Les contemporains du Général (on met une majuscule quand c’est Lui, le Mongénéral) ont peu à peu disparu. Ceux qui étaient enfants quand De Gaulle devint l’homme de Londres sont maintenant presque aussi âgés que ce Général qui disparaissait en 1970.
C’est quand Il est mort que j’étais, moi, un enfant, élève de cinquième dans ce lycée du Nord. Oui, à l’époque le lycée, c’était dès la sixième, et encore parce qu’on venait juste d’en supprimer les classes primaires. Quel rapport avec Mongénéral, pensera, agacé, le lecteur… Un rapport direct puisque c’est à 10 heures, ce 10 novembre 1970 que j’ai appris Sa mort. Je me souvent précisément de l’heure, quarante ans plus tard, et même du lieu exact où ce qui était une rumeur m’est arrivé. J’étais aux toilettes, à l’urinoir plutôt puisque ce lycée de garçons était ainsi équipé. Le souvenir de la mort du Général est ainsi associé à jamais dans ma mémoire à ce lieu aujourd’hui disparu, emporté dans l’incendie du bâtiment des années plus tard. C’était un endroit jamais très propre, jamais très sale non plus, où manquaient le plus souvent papier et savon, où le morceau de tissu pendu à un rouleau qui servait à s’essuyer les mains était toujours tellement humide que l’on hésitait à s’en servir et que le plus souvent on négligeait de se laver les mains. Pour moi, le Général est donc mort aux toilettes du lycée.
Je me suis toujours demandé comment cette nouvelle était parvenue jusqu’à moi, jusqu’à nous. Les enfants d’aujourd’hui sont reliés en permanence au monde extérieur par leur téléphone. Nous, nous entrions le matin dans un monde isolé qui était celui du lycée. Ni radio, ni télévision. Et pourtant, ce jour là, cette nouvelle extraordinaire a pu passer les grilles. Sans doute quelques élèves dont la première heure de la journée était plus tardive l’ont-ils entraînée avec eux.
Nous n’avions pas d’admiration pour le Général. C’était un personnage lointain, que nos grands-parents respectaient, à cause de la guerre. Mais la guerre, ils n’en parlaient pas. De l’occupation, des allemands, çà oui, on en entendait parler. Et des bombardements aussi. Mais Londres, De Gaulle, non, jamais. De Gaulle, on l’avait entendu deux ans plus tôt, pendant les grandes vacances, celles où les écoles avaient fermé en mai.
Et voilà pourquoi, ce 10 novembre 1970, je n’étais pas triste.
Et voilà pourquoi, toutes ces commémorations m’agacent. Franchement, tout ce bruit pour un type qui est mort dans les toilettes du lycée.