On est connectés partout, tout le temps: je peux skyper Bertrude et en même temps lui envoyer un sms tout en postant une vidéo de morse qui fait de l'aérobic sur son mur facebook tout en retwittant son menu du midi (mes followers ne doivent en aucun cas manquer ça: elle a mangé du chou farci. Tu le vis ça? Du chou farci!). Tout ceci sonne comme une merveilleuse utopie, ou toi et tes amis vous ne formez plus qu'un grâce au monde merveilleux de l'internet et de ton smartphone. Comme si tu vivais dans les années 70, en communion totale avec tes potos, tous tous nus au milieu des chèvres, le bédo au coin des lèvres et la fleur dans les cheveux, mais chez toi en pyjama, dans le bus en veste de tweed, ou au travail en costume à rayures tennis et en cravate diable de Tasmanie (j'y peux quelque chose moi si tu te sappes comme un vieux comptable?). Et ne va pas croire que ça t'isole. Parce que quoi de plus alléchant qu'une soirée IRL à ragoter sur le statut de untel, à disserter sur le tweet de bidule et à analyser la profile pic de machine?
Non, vraiment, l'aire de la surcommunication c'est tout de même fantastique. C'est simple, les seuls moments ou tu n'es pas en train de partager avec tes amis, c'est que tu les a au téléphone. Ou (comble du comble), que tu bois des bières avec eux pour débriefer ta semaine numérique.
Présenté comme ça, on a un peu l'impression de vivre dans un pays ou les petits lapins font des cupcakes avec des chatons et ou les poneys font caca des paillettes. Sauf que non.
L'amitié 2.0, c'est juste impossible à gérer. Journée type:
9h00 Fraîche comme une jeune rose, et pleine de bonnes résolutions, tu te dis que tu vas consulter tes mails perso juste comme ça vite fait en arrivant. Tu te connectes à Gmail. Sauf que Gtalk est activé (c'est en cas d'urgence). Et que Bertrude est online:
Bertrude: Coucou viel escarre! (entre Bertrude et moi, c'est très affectueux)Almira: Peut pas parler suis au boulot byeBertrude: Noooooon! attends! c'est terrible! c'est affreux! c'est dramatique! sauve moi!Almira: Quoi? (fais vite, j'ai plein plein plein de travail, faut quand même que je mérite mon salaire)Bertrude: J'ai un herpès génital!
Et voilà comment ruiner une matinée de travail. Comment voulez vous que j'abandonne Bertrude à son triste sort alors que je ne sais pas qui lui a filé la chtouille, ni comment elle l'a rencontré, ni quand, ni ou, ni comment, et que j'ignore tout du physique et des performances de cette MST? Résultat des courses, à 13h00, j'ai même pas ouvert la boite mail pro. Puis comme c'est l'heure de la pause déj, c'est pas maintenant que je vais m'y mettre.
13h04, à la boulangerie, alors que j'attends que mon panini saucisse-3 fromages et que j'hésite entre un beignet au nutella et une religieuse au chocolat pour le dessert (ouaip, je fais gaffe à ma ligne moi), je reçoit un SMS. C'est Philémone : "Doux jésus! sur facebook! c'est affreux!". Apparemment, ça chauffe sévère sur le réseau social bleu. ça tombe bien, j'ai un forfait wap illimité, je vais voir. Rien à foutre si ma chef profite de ma pause pour pointer du doigt mon manque de productivité.
13h27: je trouve enfin l'objet du délit. Rodrigo, rencontré lors de la soirée open bar / closed dignity samedi dernier, avait un appareil photo. Et il s'en est servi le bougre. Et apparemment il est autant prompt de l'obturateur que du tag. Même le pâté que j'ai posé a la sortie du bar a été marqué. Supair. Je lui envoie un mail, gentil et tout, ou je lui demande expressément de retirer ces photos tout de suite sinon je lui latte les gencives à coup de gourdin. Il me répond, tout aussi expressément "lol. Non. :-P". Ok. Sentence suprême. Rodrigo, j'le connais pas, j'l'ai vu deux fois, il s'avère qu'il est aussi moisi que le fond de rillette qui squatte mon frigo depuis août. Je le supprime, ni vu ni connu.
15h04: je prend une pause. je vais sur hotmail, c'est là que je reçois mes mails vente privée, et justement, j'ai un besoin irrépressible de m'acheter une cocotte en fonte.
17h12: finalement, à défaut d'une cocotte en fonte j'ai acheté un pull Ed Hardy. Je poste le lien sur Facebook, j'ai trop envie de me faire liker par mes cops. Résultat des courses: 6 commentaires, dont 4 insultant mon goût pourtant très sûr, 1 m'interrogeant sur ma santé mentale, 1 me conseillant l'adresse d'un bon ophtalmo, et le dernier à base de petits smileys qui rigolent.
18h23: de retour chez moi. j'allume mon laptop, il est temps de partager avec le monde le contenu de mon sac carrefour market: des yaourts et une boite de tampax. J'aime.
18h24: Oh! un mail facebook! C'est Bertrude! Elle tenait à m'informer que ça la gratouillait plus et qu'elle est bien contente. Et que c'est grâce à un cataplasme de moutarde et de lait en poudre. Elle a trouvé la recette sur Doctissimo. Oh! un autre mail! C'est Philémone! Elle me dit que Rodrigo a trop mal pris son évincement de mes amis facebook et que sur son mur, il me rhabille pour les 3 hivers à venir. Pour la remercier de m'avoir donné l'info, je lui envoie un petit smiley et un petit coeur.
18h25: Rodrigo est un gland, il n'a pas bloqué son mur. Ce qui me permet de constater qu'effectivement, son statut facebook se présente comme suit: "Almira n'est qu'une salope adipeuse qui pue des pieds et qui est velue du dos". Je lui envoie un mail poli et tout ou je lui dis d'aller se faire poser des implants mammaires sur les omoplates, parce qu'il n'y a que comme ça qu'il pourrait gagner en intérêt. Je lui dis aussi que si je le croise je l'énuclée avec les dents. Il me répond d'aller me faire mettre par un bouc. Je lui réponds que je préférerait avoir les hémorroïdes de ma grand mère en fond d'écran que de devoir passer ne serais-ce qu'une seconde dans la même pièce que lui. Il me répond que c'est celui qui dit qui est.
19h43: Je reçois un texto de Philémone. Elle est limite nervous breakdown. Elle supporte pas l'idée que je la raye de ma vie comme ça pour si peu. Je demande des explications (comprendre je lui envoie trois points d'interrogation par SMS). Elle me renvoie un message tremblotant et misérable: "bé oui, tu fé la gueule, tu répon pa".
20h12: Effectivement, je constate que MSN est allumé, que mon statut est sur "je suis connectée, collée à l'ordi, et si je te réponds pas c'est que tu es mort pour moi, mollusque avarié", et que j'ai 4 messages non lus de Philémone:
15h07 Philémone: Hello!15h14 Philémone: T là?18h23 Philémone: Kikoo!!18h37 Philémone: Maaaaaiiiiiiis euuuuuuuh, pourquoi tu me parles pas? Entre nous c'est plus comme avant! tu m'ignores, tu me snobes, tu me délaisses! Ma vie se vide de son sens, elle ne vaut plus la peine d'être vécue. A quoi bon puisque de toute évidence tu me détestes, que je suis insignifiante à tes yeux. Alors que ton CD de Rihanna , j'allais te le rendre! De toute façon, c'est mieux comme ça. T'es qu'une connasse, tu sais même pas t'habiller, tu vas chez Ed Hardy. Vielle merde. Va crever. Raclure.
23h47: Philémone a compris que je n'avais aucunement l'intention de l'évincer. Pour lui prouver, j'ai dû lui céder mon pull Ed Hardy. Rodrigo, lui, continue de m'envoyer des menaces de mort. Berdrude, quant à elle, est tout à fait guérie: elle bombarde mon mur facebook de photos d'étrons d'éléphants que je m'empresse d'effacer aussitôt. Pour la calmer, j'ai dû lui transférer un des mails que Rodrigo m'a envoyé. Son nouveau type, la MST, l'a très mal pris, et Bertrude pour rigoler lui a donné mon adresse. Un gorille à l'hygiène génitale douteuse est présentement en train de tambouriner à ma porte en me menaçant de m'enfoncer son majeur dans ma narine droite jusqu'à ce que mort s'en suive.
Et moi, je suis épuisée. Je mangerai bien des sushiens. ouaf.