Cat power

Publié le 12 novembre 2010 par Elb

Chat (un) peu rond rouge

Ce matin au café, une femme est entrée, s’est assise au comptoir à coté de moi et est restée prostrée durant dix bonnes minutes, alternant soupirs et reniflements exaspérants avant que je ne me décide à m’enquérir de son désarrois.Oui je sais c’est un peu ampoulé comme expression, à défaut d'être brillant, mais cela reflète assez bien le caractère chevaleresque de ma démarche... 
Bref, après avoir analysé froidement le facteur risque, j’ai enfilé mon sourire le plus empathique et je lui ai donc demandé ce qui clochait (à part une petite goutte de morve sous son nez) :- C’est mon petit chat…Inévitablement je réprimais un sourire…Ce genre de réponse sibylline rime malgré moi avec coquine, mais je tins bon et poursuivais :- Oh, il est malade ?- Non, enfin oui, je lui ai marché dessus ce matin, j’étais pressée, j’ai pas fait attention…- Ah, ce n’est pas si grave que ça, non ?
Soyons clairs : je ne me suis jamais réjoui de voir souffrir un animal. Néanmoins je n’ai n'éprouve aucune pitié particulière à l'égard des chats, des chiens, ou de tout animal soit disant « domestique», qui profitent depuis des siècles, et sans aucune vergogne, du manque de confiance, de la solitude, ou des perversions zoophiles des hommes, afin de les amadouer, et ainsi parasiter mon quotidien en crottant en toute impunité sur mon pas de porte.
- Oh le pauvre, si ! J’ai du l’amener chez le vétérinaire qui l’a opéré, je lui ai écrasé les testicules !Malheureusement, cela m'a fait rire.A ma décharge, Maurice, le patron, qui suivait notre conversation du coin de l’oreille aussi.La pauvre femme nous a dévisagé comme si nous étions deux fossoyeurs nazis satisfait fêtant notre paie au bar, et bien vite, je tentais de me rattraper en prétextant que cela me faisait penser, malgré moi, à une autre histoire, sans importance, arrivé à un ami il y a quelques années...
Même dans les jeunes couples, il y a des moments de doute, où l’on se pose des questions.Toutes sortes de questions.
Certaines, fondamentales, sont presque à coup sûr posées par les femmes, et poussent les hommes à la perplexité :- Vraiment, ce pantalon ne me fait pas des fesses horribles ? Pourquoi tu la regardes comme ça, tu as couché avec ou quoi ? Comment peux-tu ne pas remarquer que je suis allée chez le coiffeur ? C’est quoi le hors-jeu ?
Une des plus cruciale, car en général elle se situe à un moment clef de la relation :- Et si on prenait un chat ?Là, en général, l’homme atteint les abîmes. De la perplexité.Le fond du fond, c’est lorsque cette question se pose pendant les vacances.
Chouchou et Loulou sont partis en Thaïlande.L’aventure, les parfums, les couleurs, c’est une Loulou ravie et insouciante qui traine un Chouchou aux aguets à travers les allées du marché de Chatuchak à Bangkok.Soudain, elle s’immobilise devant une vitrine où un petit chaton blanc s’essaie au stretching. Elle tombe en pamoison : ils sont félins pour l’autre.
- Oh, tu as vu le petit chat ! Il est trooooop mignon ! Je le veux, je le veux, je le veux, s’il te plaît, Mon Chouchououou…
Grace à Dieu et à Singapour Airlines, Chouchou trouve sans peine les arguments pour qu’elle réalise qu’ils se trouvent actuellement à plusieurs milliers de kilomètres de chez eux, qu’ils ont encore deux semaines à se balader sac au dos, et qu’il n’est pas possible de se trimballer avec cet animal jusqu’à la fin du séjour.Aussi mignon et blanc soit-il.Un chaton qui ne parle même pas français, en plus.
Mais Loulou, quand elle aime, elle ne s’en laisse pas conter.Après plusieurs jours, et nuits, elle remet chat sur le tapis, le lit, sous la douche, enfin partout. Epuisé, mais heureux, il finit par céder. Si le fauve est toujours là lorsqu’ils repasseront par Bangkok, et si la compagnie aérienne le permet, ainsi soit-il, ils le ramèneront.Loulou loue sa gentillesse, trépigne de joie, d’impatience, et le remercie tant et si bien qu’il en vient à se demander si ce petit chat n'a pas un pouvoir magique.
Quinze jours après, le chaton est toujours là, et le cœur de Loulou fond sous le regard de ses petits yeux bleus persans qui semblent appeler les caresses et les câlins.Elle s’engouffre dans l’échoppe surexcitée. Chouchou touché par sa joie se sent l’âme d’un seigneur, il la suit et tente de rassurer à l'aide de gestes le vieil homme derrière son comptoir : non, son amie ne va pas faire une crise d’épilepsie, mais ils aimeraient bien acheter le petit chaton blanc trop mignon de la vitrine.
- แมวตัวผู้ ?- Cat ! cat ! Yes !Le vieil homme tout sourire pointe du doigt l’animal, tout le monde hoche vigoureusement de la tête en souriant de plus belle :-  Cut แมวตัวผู้ ?- Oui, oui ! YES !On ne saura jamais si c’est la joie de Loulou, ou la joie d’avoir conclu une bonne affaire, ou tout simplement des gencives douloureuses, mais le vieil homme se fend d’une immense grimace.Loulou applaudit.Il se fend alors de trois petites courbettes. Il ne parle pas anglais certes, mais c’est un bon fendeur. Il se dirige vers la vitrine, attrape l’objet de tous les désirs, le ramène sur le comptoir où il le maintien doucement.- แมวตัวผู้ ? cut, cut ?- Oui, oui, monsieur, yes, cat, cat !
Le jovial marchand se baisse alors pour attraper quelque chose sous le comptoir, et d’un geste rapide, d’un claquement sec, clac, tranche la tête du petit chat.
C'était également un bon pourfendeur.
Bien entendu, je n’ai pas raconté cette histoire à ma voisine de comptoir qui aurait été capable, ainsi que Loulou l’a fait, de tomber en...catalepsie, mais dés son départ je me suis empressé de la conter à Maurice.Quant le chat est parti…