Magazine Journal intime

Passage à Marseille par Vanessa Bessour

Publié le 12 novembre 2010 par Toursainte

Ce texte a été écrit lors du concours "culture et écriture" d'octobre 2009. Il est l'oeuvre de Vanessa Bessour, élève de Terminale L à Tour Sainte. Nous le publions pour sa qualité et sa poésie.


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« Marseille appartient à ceux qui viennent du large ». C’est cette vieille citation de Blais Cendrars qui me revint en mémoire lorsque j’ai mis le pied sur le sol marseillais. Je ne m’étais à la fois jamais sentie autant chez moi qu’étrangère en ce lieu.

J’entamais alors ma quatorzième année de vie lorsque le jour tant attendu arriva, une famille téléphona à l’orphelinat. C’était une petite famille russe de France qui souhaitait par ma venue, agrandir davantage leur famille. Comme à l’habitude ici, ce fut rapidement réglé et mon départ fut fixé au 25 juillet de la même année « pour que tu puisses te préparer à ta rentrée scolaire » disaient-ils au téléphone, tellement enthousiaste. Je fus malgré à la fois plongée dans la joie et la peur. La peur de perdre mes repères, mes amies et bien entendu ma Chine natale. Mais il me fallait saisir ma chance, celle d’avoir un avenir meilleur. J’arrivais donc dans un aéroport non loin de ma destination, c’était la première fois que je prenais l’avion. Ils étaient là. Pour la première fois au cours de ma jeune existence, quelqu’un m’attendais quelque part. Leur habitation se trouvait au nord de la ville dans une résidence au nom plutôt drôle « Campagne Mouton », dans ma petite maisonnette fort sympathique.

Tout excitée par ma venue, l’aînée de la famille, Héléna me fit visiter la ville le jour qui suivit. Elle décida de m’emmener dans un lieu, connu me dit-elle, où il n’y avait pratiquement que des bateaux à l’horizon, la mer à perte de vue. A cet endroit même, des hommes vendaient du poisson, et je ne saurais expliquer pourquoi, ils hurlaient. Héléna esquissa un sourire lorsqu’elle me vit intriguée. S’en suivit une longue promenade et une visite des Calanques. Au début, apercevant toute cette hauteur, j’ai cru qu’elle m’y avait emmenée pour m’y jeter. Après tout, mes propres parents m’avaient abandonnée dans les rues de Pékin. Nous entamâmes une seconde promenade, soudain elle me stoppa, « regarde » me dit-elle a voix basse. Ce fut la première impression que j’eus de Marseille, ce bleu, cette eau et cette beauté. C’est vrai que depuis mon arrivée à l’aéroport je ne comprenais pas tout ce que l’on me disait mais là, aucun mot n’était utile.

Nous étions à l’occasion retourner nous balader pendant le mois d’Août. Tantôt sur les plages de Corbières, tantôt sur celles du Prado. J’étais toujours aussi fascinée par la beauté de cette ville. Je me rappelle que lorsque je vivais à Pékin j’avais une idée très précise de ce qu’était l’Occident car j’avais aperçu dans un manuel, qui était posé sur une étagère de l’orphelinat, la célèbre ville de New York. Je croyais alors arriver dans un endroit totalement dépourvu de la présence de la nature. Marseille était tout autre. Je m’y sentais tellement bien!

Les jours passèrent, jusqu’à ce fameux 4 septembre, la rentrée scolaire. Je ne maîtrisais ni la langue ni l’écriture. Toutes les raisons d’angoisser étaient réunies. Tout mon été durant, j’avais pensé à ce jour où je me retrouvais au milieu d’inconnus, seul et totalement perdue. Mes parents avaient pourtant pris le soin comme à leur habitude, de me réconforter. Cependant, cette angoisse était là, et je savais qu’elle y resterait tant que ce jour ne serait pas arrivé. J’étais inscrite à Tour Sainte, un petit lycée privé pas très loin de chez moi, au sommet d’une colline. Ma mère, aussi soucieuse que moi, m’avait préparé mes habits la veille avant de m’embrasser au bord de mon lit.

Le réveil sonna, c’était l’heure.

A ma grande joie, tout se passa correctement et comme cela était prévu, je fis ma rentrée dans une classe adaptée. Ce fut un véritable choc. Le professeur commença : « Jérémie Abdelkader, Sasha , France… » Toutes mes peurs étaient envolées lors de l’appel. Je n’étais pas la seule étrangère. Personne ne semblait choqué par la diversité de la classe, personne sauf moi. En racontant ma journée à Héléna devenue ma confidente, elle rit et me dit alors « Tu sais Lee, Marseille est une ville spéciale ».

Tout ne s’expliqua pas sur l’instant. Je ne saisis que plus tard la portée de cette phrase. Lorsqu’elle m’expliqua que tout ici était différent, que rien n’était là au hasard et surtout, lorsque je le vis par moi-même. Elle m’emmena le lendemain dans un quratier connu de Marseille « L’Estaque » on y mangea de la purée de pois chiche appelés « panisses », ce fut très bon. J’étais toujours troublée par la facilité avec laquelle les commerçants plaisantaient avec nous, ils avaient l’air joyeux. C’est cet esprit chaleureux, familial que j’ai tout de suite aimé dans cette ville. Mon impression s’est confirmée avec le temps. J’ai su que c’était cet endroit qui était magique au cours de mes voyages scolaires à travers la France. Le pays est très beau mais tellement différent de la vieille cité. Les poissonniers qui font leurs publicités à même le port, les spécialités gastronomiques et la richesse de son patrimoine historique en font incontestablement une ville « à part ».

A l’école tout se passa très bien, je fis des progrès et maîtrisais déjà à l’âge de 17 ans la langue française. Il m’arrivait même parfois d’utiliser l’argot de la ville, c’était devenu une habitude. C’était mes copines qui m’en avaient appris quelques bribes. Ces mêmes copines qui m’invitaient souvent chez elles le midi. Il m’arrivait alors quelques fois d’accumuler couscous, pâtes au pesto et hamburgers dans la même semaine! L’aspect cosmopolite de la ville est, en effet, à mon sens son plus grand atout, celui là même qui m’a permis de m’intégrer aussi facilement, moi, la petite chinoise. Je faisais maintenant partie intégrante de la « communauté marseillaise » celle-là même dont j’étais désormais fière. Cette fierté que tous les habitants ont, celle d’appartenir au monde, à leur monde.

Arriva alors l’année où il fallut choisir ce que l’on voulait faire dans la vie. L’année dite décisive. Me revoilà perdue. Perdue dans mes pensées, que faire de ma vie ? C’est difficile de se décider à un si jeune âge. Le système scolaire ici est vraiment complexe, je veux dire par là qu’il y a tellement de possibilité qui pourrait être explorées ! Comment ne pas regretter un choix précipité ? je décidais alors de retourner à l’endroit où je me sentais le mieux, les Calanques. Je me rappelle m’être dit : « cette vue si reposante t’aidera à y voir plus clair ! ». et je ne me suis pas trompée, c’est ici que j’ai compris que je voulais être photographe, et pas n’importe lequel. Je voulais faire de Marseille ma spécialité. Ce fut la meilleure décision de ma vie. Cette ville allait devenir mon outil de travail, et je pourrais contempler sa beauté à travers mon appareil chaque jour. Je me lèverais le matin avec le sourire, ce même sourire que j’eus la première fois que je vis cet endroit.

Je saisis à mes 18 ans que cette ville m’avait sauvée. Elle avait sauvé cette petite fille aux yeux bridés sans avenir. Elle m’avait sauvée parce qu’avant moi, elle avait aidé mes parents à se sentir chez eux même loin de leur Russie natale. Ses même parents qui m’ont adoptée et dont je suis fière aujourd’hui. La phrase d’Héléna me revint tout à coup « Tu sais Lee, Marseille est une ville spéciale », je compris alors que ses parents eux aussi, avaient vécu ce que moi-même je vivais ce qui explique qu’ils soient restés à Marseille de façon définitive. Marseille avait aidé tant de gens ! Je devais tout à cette ville, elle m’avait vu m’affirmer, devenir quelqu’un.

Je n’étais désormais animée que d’une seule envie, celle de montrer au monde ce que j’avais vu. Montrer à cette petite fille qui verra dans un manuel posé sur l’étagère d’un orphelinat du monde que la ville de Marseille existe. Celle qui abrite tant de gens différents, des gens qui espèrent et qui ne « craignent dégun».


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Toutes nos félicitations à Vanessa pour sa participation de qualité.


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