Mon père était athée. Le vrai. Mon géniteur. C’est sans doute la raison pour laquelle il s’est suicidé. Sans doute aussi la raison pour laquelle j’ai compris que Dieu n’existait définitivement pas. Sinon il aurait pardonné. L’idée d’imaginer mon père dans les flammes de l’enfer m’était insupportable. Même s’il le méritait. Parce qu’il m’avait laissée. Complètement oubliée. Parti sans rien m’expliquer. Ni pourquoi je devais me battre. Ni contre qui. Ni contre quoi. Ni comment. Pour quelqu’un qui parlait huit langues, il n’était pas très communicatif. Mais il faisait beaucoup d’affaires. De par le monde. Mon père était un bizness man hors paire. Toujours entre deux avions. Directeur général de l’import export d’un grand magasin dont je tairai le nom.
Vingt ans auparavant, il avait quitté l’Allemagne pour épouser ma mère qu’il avait fécondée. Pour ne jamais y remettre les pieds. Lorsque j’étais née, fort de son athéisme, il n’avait pas voulu que je me fasse baptiser. Ma mère, elle, s’en foutait. Mes grands parents y tenaient. J’avais donc reçu mon verre d’eau bénite sur la tête. Le sacrement par lequel on m’engageait à devenir chrétienne. Avant de me demander, douze ans plus tard, si je voulais confirmer. Faire ma communion solennelle. Ce que j’avais refusé. Malgré le nombre de cadeaux qu’on me faisait miroiter. Et un an de catéchisme. Toute façon j’étais communiste. C’était incompatible. A l’époque !
J’avais même pas compris que Jésus c’était Dieu en fait. Que le Père, le Fils, et le Saint Esprit, c’était trois seules et même personne. Pour moi y’avait Jésus. C’était le fils de Dieu et de Marie. Il était venu sur terre pour répandre l’amour et la paix entre les hommes qui n’avaient pas voulu l’écouter. Et l’avaient tué. Il avait donc ressuscité. Mais pour rien. Puisqu’au lieu de saisir cette chance inouïe, il était reparti auprès de son daron. En s’envolant dans le Ciel. Pendant les vacances de l’ascension. Pas l’Assomption hein… L’Assomption, c’est Marie. Le 15 aout. Pendant les grandes vacances. Alors au nom du père, ok, c’était Dieu ! Au nom du Fils, ok, c’était Jésus. Mais c’est qui ce fameux Saint Esprit, tu te dis, quand t’es petite. Et y’a tellement personne qui te répond que même Jésus, en final, tu finis par douter. Te demander s’il a réellement existé ? « Lis la Bible », ils te disent. Mais ça se trouve où la Bible ? Il faut aller dans une Eglise ? C’est payant ? Faut faire comment ? J’imaginais la Bible comme un vieux bouquin en parchemin tellement sacré, tellement modèle unique que je voyais vraiment pas ça en vente libre dans un vulgaire magasin. Bref. Dieu, c’était vraiment trop compliqué pour moi.
C’est en arrivant à Vitry que j’ai enfin tout compris. Mes parents avaient divorcé depuis longtemps quand on a quitté Fresnes pour Vitry. En 73. Avec mon beau père et ma mère, qui venaient de se marier, ma sœur, de quinze mois ma cadette. Et mon petit frère. Encore bébé. Le deuxième, donc. Mais côté mère. Cette fois.
C’était la première fois que je voyais des gens vraiment croyants. C’est pour ça que quand ma mère m’a dit que nos nouveaux voisins croyaient en un autre Dieu que nous, je me suis juste dit qu’ils croyaient en Dieu. Tout simplement. Et que eux au moins, ils en étaient sûres. Néanmoins, dans ma tête, je croyais que le Pape, il était pour tout le monde. A part les Protestants qui n’en voulaient pas. Mais après tout c’était leur choix. Au pire, et au cas où, il était là. C’est quand j’ai compris qu’il s’occupait que des catholiques que, le plus naturellement du monde, j’ai demandé à ma copine c’était qui son Saint Père à elle. Son souverain pontife ? Et qu’elle m’a dit qu’elle n’en avait pas. Que dans sa religion, on n’en avait pas besoin. Car Dieu vivait, non pas au ciel, comme le notre, mais attention, tiens toi bien : en eux. Dans les gens. A l’intérieur. Et qu’ils le sentaient dans leur cœur. Ce que je n’ai pas cru bien sûre. Vu la taille d’un cœur, A côté de celle d’un Dieu. Mais c’était une image. Comme un tatouage. Mais interne. J’étais perplexe. En même temps, ça pouvait expliquait comment il faisait son père, pour tout savoir ce qui fallait faire. Toutes ces prières. Qu’il connaissait par cœur. Evidemment : si elles étaient dedans. Ca expliquait surtout comment il savait que Dieu existait ? Pourquoi il en était si sûr.
Le Dieu des Musulmans s’appelait Allah. Et il était très grand. Ca se voyait. Parce que pour rassembler autant de gens dans la même direction sur toute la planète au même moment, fallait vraiment être puissant. Plus balaise que le notre, en tout cas, qu’avait peine à nous réunir autour d’une même table dans la paix et la bonne humeur. Même à Noel. Et surtout à Noël, même… j’dirais. Ces soirées propices aux courbettes et aux sourires Morandini de trêve. Et de circonstance. Ces soirées qui, quand elles ne transpiraient pas l’hypocrisie, tournaient aux règlements de comptes. Et le sang du Christ au vinaigre. Ces soirées où tout le monde se foutait royalement de Dieu. Les Musulmans, eux, ne fêtaient pas Noël. Leur religion, c’était l’Islam. Leur Bible, c’était le Coran. Et ils priaient dans des Mosquées. Mais aussi chez eux. A domicile. Des prières qui n’en finissaient pas et qui faisaient comme un mouvement perpétuel dans ma tête. Qui me rendaient stone. Et qui me happaient. Comme si je quittais la terre. Et que je m’envolais. En forme de tourbillons. Allah, Lui, n’avait pas de fils. Mais Il avait envoyé Mahomet. Son prophète préféré. Pour répande Sa parole. Comme Jésus. Mais en l’imprimant directement dans le cœur des gens car Il ne savait ni lire. Ni écrire. Au fil du temps, et à force d’en parler entre eux, les Musulmans naissaient tous avec leur Dieu intégré. Toutes options. Pour lui prouver leur amour, ils devaient suivre tout un tas de rituels. Comme ne pas manger de jambon. Ne pas fumer de clopes. Ne pas boire d’alcool. Et prier toujours en direction de la Mecque. Non pas pour apercevoir Allah. Comme je le pensais au début. Mais pour l’encercler. L’entourer. Faire une grande ronde autour de lui. Une ronde humaine mondiale. T’imagine ? Et tous les ans, sinon, y’avait le Ramadan. Comme pour nous le Carême. M’avait dit un jour la mère de mon beau père. Ma grand-mère par alliance. Donc.
« Pourquoi tu fais pas plutôt le Carême ? » m’avait elle demandé.
« Euuuuh… le quoi ? Le Carême ? C’est quoi ce truc ? » l’avais je questionné à mon tour en retour.
Un an de catéchisme et je j’avais jamais entendu parler de ces quarante jours de jeûne qu’il fallait respecter pour commémorer Pacques.
Toute cette histoire me fascinait. Malgré tout, je restais fixée sur trois Dieux. La Trinité pour moi c’était ça. Trois religions. Et chacune son prophète. L’idée que ma copine puisse connaitre Jésus ne m’avait donc jamais effleurée. Aussi quand elle m’expliqua que Jésus était juif, ce fut la révélation : Le Christ avait donc bel et bien existé. Même les Arabes le connaissaient. C’était dingue ! “Oui mais c’était un homme… pas un Dieu ! ” m’avait-elle précisé, de façon insistante mais totalement superflue puisqu’on était d’accord. Jésus n’était pas Dieu, puisque c’était son fils. Et le Saint Esprit, en fait, c’était l’Ange Gabriel. Le même qui avait dicté le Coran à Mahomet. Tout s’expliquait enfin… Dans ma tête d’enfant, j’imaginais Jésus et Mahomet jouer comme deux potes. Ensemble. Sous l’œil attentif de leur Dieu respectif. Je pensais qu’ils avaient le même âge. Et qu’ils étaient inséparables. Comme nous deux.
Les premières années, le cœur de ma copine était encore trop petit pour contenir un Dieu de grande personne et faire le Ramadan. Mais elle le sentait déjà. Pousser dans son cœur. Se développer. Alors elle s’exerçait, pour plus tard. Et moi je l’aidais. Le problème, avec le Dieu des Musulmans, C’est qu’Il avait fixé des règles strictes. Inapplicables en France où il était difficile de résister à la tentation. Ou de respecter des lois qui ne favorisaient en rien le culte de cette religion. Le pays des droits de l’homme se vantait de son accueil, glorifiait sa générosité, et flattait ses immigrés à coup de liberté d’égalité et de fraternité, les invitant à intégrer la grande famille. De là à leurs faciliter la vie. Déjà qu’on accueillait toute la misère du monde, c’était quand même pas à nous de nous adapter. Bordel de merde. Grognaient les plus fervents défenseurs de la soupe au lard tricolore. On parlait pas encore d’un islam de France. Ni de voile. Ni d’identité nationale. On ne parlait pas non plus d’islamophobie, mais déjà les Arabes dérangeaient. Musulmans. Ou pas.
Le vrai dilemme, pour ma copine, c’était justement ça : la charcuterie. Le porc. Le jambon. Elle ne pouvait en manger qu’en cachette. Et après, elle culpabilisait. Alors je la réconfortais. Pour moi, Allah n’était pas dupe. Il le savait tout ça. Tout ce qui se tramait dans son dos. La tolérance zéro des occidentaux vis-à-vis de ses fidèles. Il savait que c’était pas de leur faute. Il était peut être intransigeant, soit… mais il avait un cœur quand même ! Sinon ce ne serait pas Dieu. Je la rassurais comme je pouvais. Mais c’était pas facile. D’autant que je pouvais pas balancer ses sœurs pour lui prouver qu’elle était pas la seule à kiffer le jambon. “Oui mais mes sœurs, elles fument pas. C’est moins pire”, elle m’aurait dit. “Peut être, mais tes frères, si…” Je lui aurais répondu. Même si eux, en revanche, je les avais jamais surpris en flagrant délit de jambon. Y’a que les filles qui craquaient. On aurait dit. Mais peut être que ses frères buvaient une bière de temps en temps ?
En échange de l’amour que lui portaient les gens, Allah promettait la vie éternelle. Un paradis dont tout mécréants étaient exclus. Pas comme chez nous où il suffisait de se repentir. Faire mea culpa. Deux trois Marie pleine de grâce et hop, t’étais absout. Blanchi. Admis. Comme ça. Sans preuve de rédemption. Le paradis, pour les Cathos, C’était gagné d’avance. Si c’était pour qu’après la vie, ce soit le même joyeux bordel ; une sorte de vie sans fin, où y’a toujours les même charognes, les mêmes pourris que sur la terre, laisse tomber… Moi aussi je pouvais le faire ! Allah, Lui, avait l’air plus sévère, mais plus juste. Plus cohérent. Moins infantilisant. Il apprenait à être libre tout en assumant des responsabilités. Comme un père qui apprend à ses enfants à s’envoler. Et à aimer la vie. Sans culpabiliser. Il était plus logique, plus cohérent. Donc forcément plus rassurant que Dieu que je trouvais simplet. A côté. Et un peu pantouflard. A déléguer ses pouvoirs à un vieux Pape. Et pis ce que j’aimais bien chez Allah, aussi, c’est qu’Il était charitable avec les plus démunis. Par rapport à chez nous où faire l’aumône n’appauvrissait personne, mais que charité bien ordonnée commençait toujours par soi même. Etre catholique, c’était un peu comme être de gauche, en somme. Se faire mousser. Tout dans la théorie. Mais rien dans la pratique. On était loin du sacrifice du Christ. Je voyais pas l’intérêt de se donner autant de mal. A même pas être quelqu’un de bien.
Des trois religions, on était donc les seuls à avoir un pape. A passer par un intermédiaire pour parler avec Dieu ? Ben ça alors… Si ça se trouve j’étais protestante ? En plus je protestais tout le temps. Moi. Carrément méchante. Jamais contente. Quand j’étais pas le cas Caro, j’étais la peste. Le vilain petit canard. L’ado rebelle qu’allait leurs donner du pain à retordre. L’enfant perturbée. Au centre de toutes les réunions familiales. Et plus ils parlaient de moi, plus j’avais l’impression que j’habitais dans une tête qui n’était pas la mienne. Ma mère semblait me connaitre comme si elle ne m’avait pas faite. Mon beau père, lui, en avait maté plus d’un. Et des plus durs. (Lol). Quant à mon père, le vrai, mon géniteur, il faisait mine de rentrer dans leur jeu. Mais je crois qu’il s’en foutait. Pour lui, c’était l’occasion de faire un bon repas en mode famille recomposée ultra moderne, de boire un bon vin, et de continuer à flatter ma mère. Sans aucune gêne. Devant mon beau père. Qui ne bronchait pas.
Dans la cité, tout le monde aimait bien mes parents : mon beau père, avec son air faussement détendu. Pincé. Qui le trahissait. Quand il saluait les gens de la tête en regardant ses pieds. Ou le nez plongé dans Libé ; ma mère, avec son violon sur le dos. Ses grandes jupes mauves de baba cool post soixantuitarde. Ses deux chevaux oranges qui nous amenaient en pique nique. Le week end. En forêt de Fontainebleau. Tout le monde craquait pour son côté folklorique et extravagant d’artiste un peu bohème. Pour autant non, n’en déplaise à ces jeunes socialistes convaincus, tout le monde ne nous jalousait pas. Non mes copines n’auraient pas payé cher pour être à ma place. Non personne ne m’enviait mes pulls tricotés main. Ni la kyrielle de sous pulls en nylon qui allait avec. Non personne ne m’enviait les crises d’hystérie de ma mère qui résonnaient dans tout le bâtiment quand je faisais mes gammes. Personne ne m’enviait d’écouter du Mozart. Ou du Beethoven. Que des compositeurs morts depuis plus de deux siècles. Pendant que Boney M cartonnaient. Non nul ne m’enviait les génériques d’apostrophes ou des dossiers de l’écran qui retentissaient le soir dans tout l’appartement. Non personne n’enviait mon statut familial. Ma vie. Mon avenir tout tracé d’adolescente occidentale française issue d’un milieu privilégié. Bien lotie. Et promue d’office à ce putain d’ascenseur social qui me tendait les bras. Et qui me rendait claustrophobe. Alors que je voulais respirer.
Pour mes parents, je n’étais qu’une jeune écervelée ingrate. Inconsciente de la chance qu’elle avait d’être née dans un pays libre où elle pouvait choisir son avenir. Ses habits. Et surtout son mari. Car Allah était peut être grand, magique, juste, rassurant, et je pouvais jouer à faire le Ramadan autant que je voulais. Mais Allah était surtout machiste. Sexiste. Soit disant qu’Il méprisait les femmes. Que ma copine était sûrement déjà promise à un mariage forcé. Et que c’est pour ça que c’était moins grave si elle, elle avait pas son bac. M’avaitbien expliqué ma mère. Alors que moi, je trouvais que c’était le contraire. Parce qu’elle voulait un travail plus qu’un mari. Ma copine. Plus tard. Mais un travail, ça se méritait. Surenchérissaient les professeurs. Les places étaient très chères. Et c’était sûrement pas en faisant ses devoirs avec dix petits frères et la télé qui braillaient qu’elle allait passer en seconde. Ajoutaient ceux qui l’avaient condamnée d’avance. Alors que tous ses frères étaient plus âgés qu’elle. Et que les devoirs, on les faisait chez moi.
Les gens avaient beau dire, ça se voyait qu’ilstrouvaient que les Arabes n’étaient pas des gens comme les autres. Leur façon d’en parler. Quand ils n’étaient pas là. Décomplexée. Très Georges Frèche. Ou même de leurs parler. De s’adresser à eux. Façon super connards du SAV d’Omar et Fred en puissance. Avec leur morale à deux balles. Leurs leçons de vie. Leurs manières. Toute cette désobligeance. Tout en se croyant franc. Poli. Modeste. Ouverts. Toute cette bêtise humaine. A l’état brut. Qu’ils soient de gauche ou de droite, dès qu’ils ouvraient la bouche, j’avais la sensation de les prendre en flag. Derrière leurs mots, y’avait tout ce qu’ils étaient. Quand, ils croquaient à pleines dents dans leur sandwich saucisson sec beurre cornichons en disant que les Arabes ne savaient pas ce qu’ils manquaient, ils me dégoutaient tous autant qu’ils étaient.
A qui parler ? A qui confier tout ce que je savais ? Quand les plus tolérants prônaient l’intégration. L’Arabe assimilé. Alors que même moi, je voulais pas m’adapter. Qu’à cela ne tienne. Un jour ou l’autre, je leurs prouverai. Je les mettrai tous face à leurs contradictions. En total porte à faux avec leurs idéaux. Ce jour là pour eux, ce sera la fin du monde !…
(to be continued)