Raclures, clopes et Usual Suspects.

Publié le 15 novembre 2010 par Kevinades

      Il y a quelques temps, Kevin a appris une leçon qui lui servira souvent dans la grande et impitoyable école de la vie.

Cette leçon est la suivante: les copains de Kevin sont des raclures.


  Je m'explique: par un beau matin d’été, un jeune élève plein d’entrain se rend à l'école le coeur léger, appelons-le Kevin. Cette école est celle où j’exerce, ce Kevin est le mien. Et aujourd'hui Kevin a la banane, la super patate.

   Il a tellement le coeur léger qu'il en arrive à l'avance. Phénomène très inhabituel. Il rencontre alors tous ses copains, les raclures précédemment évoquées et il leur montre un fabuleux trésor... C’est le genre d’objet qui fait crever de jalousie les autres gamins, celui qui fait d’un Kevin la star d'une cour de récré… Vous voyez évidemment de quoi je parle…

   Non ? Un indice : ce  ne sont ni des cartes de catch ni un téléphone portable. Du coup c'est facile, il ne reste qu'une possibilité: l'inusable paquet de clopes! Même pas entamé avec ça!




   Les copains de mon bon Kevin s'extasient et le flattent (quelle bande de raclures hypocrites). Bref, la foule est en délire. Arrive enfin l'ouverture des grilles et tout ce petit monde entre dans la cour. Notons au passage qu'il s'agit d'un jour de beau temps, du genre à tomber le manteau.


   La notoriété de Kevin augmente rapidement. Et comme la rumeur à son sujet se propage vite, il est pour quelques temps encore le mec branché du bahut. Il est le quaterback du lycée, la Pom-Pom girl dans le vestiaire de l'équipe de foot, le figurant de Star Wars dans une convention de geeks... En trois mots, il est populaire. C'est lui le rebelle qui défie bravement l’ordre injustement établi par ces cons d’adulte (ouais, carrément). C'est simple, Kevin est heu----reux.

   Ses copains ne sont pas en reste, à tel point qu'ils décident de partager généreusement cette bonne humeur  avec les cons d’adultes susnommés. L'instant de plénitude de Kevin aura donc duré cinq bonnes minutes avant qu'il ne se fasse balancer par quatre de ses camarades. Des raclures vous disais-je...
   Arrive alors l'heure de rentrer en classe, mes collègues m'informent de la situation, le plan orsec est activé. Il faut agir vite, la moitié de l’école est déjà au courant, la situation ne sera bientôt plus sous contrôle. Et ça, c'est craignos. Alors oui, la délation c'est mal, mais puisque je viens de vous dire que la situation est craignos!

   Heureusement, Kevin ne se doute de rien... J’ai un avantage certain sur lui… Avantage de courte durée puisqu'un énième élève vient le balancer. Cette fois-ci devant la porte de la classe, en présence de l'accusé lui-même! Je vous avais précisé que ses copains étaient des raclures?


   Bon, temps mort, on règlera ça à la récré, il faut partir vers le gymnase pour l’EPS.


10h30: le moment est venu, l'enquête commence. Le protocole est minutieusement établi, c'est du grand classique : le gentil flic et le méchant flic. Fouille du cartable, du bureau... rien. Interrogatoire de ce bon Kevin, viril mais correct. On bosse avec des mômes quand même, on n'est pas des monstres : lampe dans les yeux mais lampe tamisée, petit catalogue pour remplacer l'annuaire. Comme on a une certaine éthique, on lui épargne quand même la gégène.

10h35: les joues ensanglantées rongé par la culpabilité, il finit par avouer qu'il avait bien en sa possession l'objet du délit. Mais il prétend s'en être débarrassé dans une poubelle en se rendant au gymnase...

Et c'est ce qu'il aurait fait, s'il avait été moins con.


   Car il faut le savoir, ce Kevin ne brille pas par son ingéniosité. Fumeur régulier, il a déjà eu des petits soucis avec le système judiciaire de l'établissement.

10h40: Je l'accompagne jusqu'à la fameuse poubelle et là, surprise, pas de paquet. Kevin, en mode pensionnaire de la Comédie française, jure qu'il ne comprend pas... Retour à l'école.
10h45: Fouille des cartables de ses copains, interrogatoire des mêmes copains (vous savez, les raclures...), l'affaire prend des proportions considérables, c'est un véritable "clopegate" (bon c'est pas le premier ni le dernier, nous avons pas mal de fumeurs réguliers). Mais toujours pas d'objet du délit. On se fait mener en bateau par un môme... Pire, par un Kevin. Ce n'est pas acceptable.


   Et là chers lecteurs, tout comme nous à ce moment là, vous êtes désemparés, perdus, apeurés: où Kevin, ce malicieux petit garnement, a-t-il pu cacher son paquet de clopes? Quelle ingénieuse et subtile planque a-t-il pu trouver pour se jouer ainsi de nous?
10h50: Ces questions me trottent dans la tête tandis que mes élèves se rangent pour retourner en classe... Quand soudain je vois passer ce bon vieux Kevin, en mode furtif, marchant de manière nonchalante son manteau à la main... Son manteau à la main... Son manteau...
   Noooonnnnnnn... ce serait trop gros, trop évident, trop usual suspectesque...  À moins que, à moins que Kevin ne soit Keyser Söze !
Ce manteau, qu'il a posé dans la cour au vu et au su de tout le monde, ce manteau tellement évident auquel nous n'avons pourtant pas pensé...


   Un élève lambda, se sachant démasqué, aurait pris soin de se débarrasser du paquet, mais ce bon vieux Kevin... 

   Je m'approche de lui et me saisis du vêtement, il me dit que le directeur a déjà regardé... Il faudra que j'en parle à mon collègue parce qu'il est un peu nul comme flic. Poche intérieure, bingo! Le paquet tant convoité est découvert, plein à craquer !


   Une fois de plus la justice et la morale ont triomphé, c'est une nouvelle victoire pour tous les enseignants de France! Petit bonus: un paquet de clopes gratos pour le collègue qui fume! Merci Kevin!