Un matin de novembre, alors que tout était calme et désert, un coquillage géant s’était échoué sur la plage du Bernard l’Hermite à Misère sur mer.
D’où venait-il ? Comment était-il arrivé là ? Qui l’y avait mis ? Autant de questions que se posèrent les habitants intrigués de la modeste bourgade de Misère.
Tous étaient venus voir.
Certains qui s’étaient approchés avaient juré avoir entendu un chant qui ressemblait « à une plainte d’algue malmenée par le courant », la poésie populaire a des images qui ne se discutent pas.
D’autres dirent que c’était une voix de femme et affirmèrent même que c’était celle de Pénélope implorant le retour d’Ulysse. On a beau être de pauvres gens perdus loin de la ville on en a pas moins de l’éducation.
Bref, chacun défendit sa version avec une telle véhémence que Monsieur le Maire dut intervenir pour calmer les esprits.
Après avoir écouté, il mit tout le monde d’accord en déclarant que cette voix, qui mêlait l’espoir et la tristesse à celle des vagues léchant inlassablement le rivage, avait une telle faculté de bouleverser son auditoire que toutes les réponses étaient plausibles.
Pour les vieux marins venus observer le phénomène il était évident que le chant du coquillage était l’écho désespéré de la mâture des grands voiliers avalés par l’océan auquel se mêlait celui des âmes des marins disparus au fond des abysses à l’occasion d’une tempête.
Appuyés sur leurs cannes ils hochaient gravement la tête le regard perdu dans le monde disparu de leurs souvenirs.
Les enfants intrépides voulurent pénétrer à l’intérieur de l’attrayante coquille, mais leurs mères, les tenant fermement par la main, leur opposèrent un non sans appel, sans céder ni aux cris ni aux pleurs.
Quand vint le soir tous rentrèrent à la maison pour le repas.
Le calme était revenu sur la plage quand deux amoureux s’approchèrent en se tenant par la main et décidèrent de se cacher des regards indiscrets à l’intérieur de ce romantique édifice de nacre.
Ils se dirent qu’il était venu tout exprès pour abriter leurs amours, que c’était un signe du destin. On sait comment les amoureux savent parer la réalité des plus chevaleresques élucubrations dictées par le galop de leurs cœurs.
Rêve qu’ils s’empressent la plupart du temps d’oublier quelques années plus tard lorsque ce dernier se fane au contact d’un quotidien dénué de toute poésie.
Qu’advint-il de ce couple de doux rêveurs ?
À peine le soleil fut-il levé que le vieux Paul, un pauvre à l’esprit fêlé, sorte d’idiot du village, toujours à traîner à toute heure du jour ou de la nuit, réveilla toute la contrée en jurant ses grands dieux et le regard fou, qu’il avait vu au petit matin le coquillage s’envoler dans les airs et disparaître comme une fusée vers les étoiles avec le couple d’amoureux à son bord.
Toujours est-il que le coquillage et le couple d’amoureux avaient disparu et que personne jamais ne les revit.
On organisa des battues, on soupçonna le vieux Paul, mais les recherches furent vaines et le vieux Paul perdit le peu d’esprit qui lui restait encore.
Quand le soir arrivait, il s’installait sur la plage et ne cessait de regarder le ciel. C’est dans cette position qu’un matin on le retrouva raide, les yeux grands ouverts vers le ciel.
Depuis, de génération en génération, on se raconte cette histoire, on invente, on brode, mais jamais personne ne put expliquer ce qui s’était réellement passé cette nuit-là.
Adamante