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Les premiers chrétiens : les Actes des martyrs (6)

Publié le 17 novembre 2010 par Hermas

pc-copie-1.jpg « Polycarpe, le plus admirable de tous, ne se laissa pas d’abord émouvoir par les rumeurs de persécution. Il voulait rester en ville. Mais comme son entourage le pressait d’aller se mettre à l’abri, il gagna une petite maison non loin de Smyrne et il l’habita avec quelques amis, ne faisant qu’y prier jour et nuit, pour tous les hommes et toutes les Églises de ce monde, selon la coutume. C’est au cours de sa prière que, trois jours avant d’être arrêté, il eut une vision : son oreiller prenait le feu et était entièrement consumé. Alors il se tourna vers ses compagnons : “Il faut que je sois brûlé vif. “ Cependant on le recherchait activement. Il dut gagner une seconde cachette ; à peine y arrivait-il que les gens lancés à sa poursuite firent irruption dans la première maison. Ne l’y trouvant pas, ils saisirent deux jeunes esclaves, en torturèrent un, qui parla. Polycarpe désormais ne pouvait plus leur échapper, puisqu’il avait été dénoncé par un des siens. L’irénarque qui répondait au nom d’Hérode, était pressé de le conduire au stade. Ainsi Polycarpe accomplirait-il sa destinée, en ne faisant qu’un avec le Christ, tandis que ceux qui l’avaient livré subiraient le châtiment de Judas. Ils emmenèrent le jeune esclave. C’était un vendredi, vers l’heure du dîner. Les policiers, à pied et à cheval, armés jusqu’aux dents, se mirent en chasse, comme s’ils couraient après un brigand. Tard dans la soirée, les voilà qui trouvent la maison et se lancent à l’assaut. Il était couché à l’étage supérieur. Une fois encore, il aurait pu s’échapper, mais il refusa : “Que la volonté de Dieu soit faite”, dit-il. Quand il sut qu’ils étaient là, il descendit et engagea la conversation. Son âge et sa sérénité les frappèrent et ils ne comprenaient pas qu’on ait mis tant de police sur le pied de guerre pour arrêter un si noble vieillard. Mais lui, malgré l’heure tardive, les invita aussitôt à manger et à boire à satiété, il leur demanda seulement de lui laisser une heure pour prier en paix. Ils le lui accordèrent. Alors, debout, il se mit à prier, si intensément pénétré de la grâce de Dieu que deux heures durant il ne cessa de parler et d’impressionner ceux qui l’écoutaient. Beaucoup se repentaient d’être venus arrêter un vieillard aussi saint. Quand il eut achevé sa prière, où il avait fait mémoire de tous ceux qu’il avait rencontrés dans sa vie, petits ou grands, illustres ou obscurs, et de toute l’Église catholique, répandue dans le monde entier, l’heure du départ était arrivée.


« (...) Du stade montait une énorme rumeur et nul ne pouvait s’y faire entendre. Quand Polycarpe en franchit les portes, une voix retentit du ciel : “Courage, Polycarpe, et sois un homme”. Nul ne vit qui avait parlé, mais ceux des nôtres qui étaient présents entendirent la voix. On fit entrer Polycarpe. Quand la foule apprit qu’il avait été arrêté, les clameurs redoublèrent.


« Le proconsul le fit comparaître devant lui et lui demanda s’il était Polycarpe. “Oui”, répondit celui-ci. Alors il essaya de le faire abjurer : “Respecte ton âge”, disait-il. Suivaient toutes les paroles que l’on tenait en pareil cas : “Jure par la fortune de César, rétracte-toi, crie : à mort les impies !” Alors Polycarpe jeta un œil sombre sur cette populace de païens massée dans le stade, et pointa sa main vers elle. Puis il soupira, et, les yeux levés au ciel, il dit : “A bas les impies !” Le proconsul le pressait de plus belle : “Jure donc et je te libère, maudis le Christ !” Polycarpe répondit : ”Si tu t’imagines que je vais jurer par la fortune de César, comme tu dis, en feignant d’ignorer qui je suis, écoute-le donc une bonne fois : je suis chrétien. Voilà quatre-vingt-six ans que je le sers et il ne m’a fait aucun mal. Comment pourrais-je insulter mon roi et mon sauveur ? Si le christianisme t’intéresse, donne-toi un jour pour m’entendre”. Le proconsul lui dit : “Essaie de convaincre le peuple”. Mais Polycarpe répliqua : “Avec toi, je veux bien m’expliquer. Dieu nous demande de respecter comme elles le méritent les autorités et les hautes fonctions qu’il a lui-même instituées, du moment que cela ne nous porte pas préjudice. Mais ces gens-là ont trop peu de dignité pour que je défende ma foi devant eux”. Le proconsul reprit : “J’ai des fauves, je t’y ferai jeter si tu ne changes pas d’opinion”. - “Fais-les venir ! Quand nous changeons, nous, ce n’est pas pour aller du bien au mal. Nous ne consentons à changer que pour devenir meilleurs.” Le magistrat s’irritait : “Je t’envoie au bûcher si tu ne crains pas les fauves. Apostasie donc”. Polycarpe répliqua : “Tu me menaces d’un feu qui brûle une heure, puis s’éteint rapidement. Tu ignores donc le feu du jugement à venir et du châtiment éternel gardé pour les impies. Mais pourquoi tardes-tu ? Va, donne tes ordres”.


« Telles furent ses paroles, et bien d’autres encore. Il rayonnait de courage et de joie, et la grâce inondait sa face. Il ne s’était pas laissé démonter par cette confrontation, c’était au contraire le proconsul qu’elle plongeait dans le désarroi. Cependant, ce dernier envoya son héraut au milieu du stade pour claironner trois fois : “Polycarpe a avoué qu’il est chrétien !” La déclaration du héraut mit en fureur toute la foule des païens et des Juifs qui résidaient à Smyrne. Les cris éclatèrent : “C’est lui, le maître de l’Asie, le père des chrétiens, le fossoyeur de nos dieux, c’est lui qui incite les foules à ne plus sacrifier ni adorer !” Au milieu de leurs hurlements, ils demandaient à l’asiarque Philippe de lâcher un lion sur Polycarpe. Mais il objecta qu’il n’en avait plus le droit, parce que les combats de fauves étaient clos. Alors d’une seule voix, ils réclamèrent que Polycarpe pérît par le feu. Il fallait en effet que s’accomplît la vision qui lui avait montré son oreiller en flammes, tandis qu’il priait, et qui lui avait arraché devant ses amis ce mot prophétique : “Il faut que je sois brûlé vif”.

(à suivre).


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