Claude Duneton
18/11/2010 | Mise à jour : 11:28 Réagir
La revue trimestrielle Défense de la langue française publiait dans son dernier numéro un «éloge de la dictée». Tout ce que dit cet article chaleureux est entièrement juste, cependant il est un argument en faveur de cet exercice tant décrié, teinté de nostalgie, qui n'apparaît jamais: je veux parler du rôle incantatoire de la dictée classique. Je dis bien incantation, car le cérémonial de la dictée en français tenait aussi du chant… D'abord, la lecture scandée du maître prenait un air solennel, avec cette articulation forte et précise, souvent caricaturée - les moutonsses de Pagnol - mais qui était de nature à provoquer la plus vive concentration dans une classe. Le morceau était «choisi» pour la sonorité et le beau balancement de ses phrases ; il s'agissait toujours d'un extrait littéraire dû à un grand prosateur. La voix du maître découpait ensuite le chant en phrases, puis en membres de phrases plusieurs fois répétés, insistants, martelés - et c'est cette répétition presque psalmodique qui impressionnait durablement les jeunes cerveaux. Il n'en va pas ainsi pour toutes les langues : en anglais, on dicte seulement mot après mot, sans lire préalablement la phrase. Bien sûr ! il n'existe aucun accord, inutile de relier les mots entre eux puisque chacun porte sa désinence oralement ; seule compte la graphie, assez anarchique d'ailleurs… En français, la difficulté - et le charme ! - vient des subtilités d'accords sibyllins non prononcés. «L'école qu'elle a fréquentée», ce n'est pas «The school she went to», proposition qui se détaille ainsi laconiquement: Zi, skoul, chi, ouènt, tou », sans aucune incantation possible !