Magazine Journal intime

L’éponyme

Publié le 18 novembre 2010 par Anaïs Valente

jeuecriture.jpg

Salut ma puce,

Comment va là-bas ?

Ça me fait tout bizarre de t’écrire après tant et tant d’années de silence.  Je t’imagine déjà en train de t’esclaffer en découvrant que j’ai eu cette idée totalement saugrenue.  Et alors, j’ai toujours été saugrenue, non ?  Puis peu importe, il le faut.  Il le faut je te dis.  C’est ainsi.  C’est écrit… ou ça va l’être.

Figure-toi que je viens de regarder un épisode de Medium, en anglais my dear, épisode inédit de par chez nous.  Un épisode dans lequel Alison Dubois évoque ces événements dits universels, qui marquent des millions de personnes en même temps, paf boum hue.  Genre un tsunami en Asie, genre un tremblement de terre en Haïti, genre un mec qui te largue, oups non, ça c’est pas vraiment universel… genre un attentat via Boeing aux states.  Ironie du sort non, que cet épisode tellement de circonstance…  Confirmation, en tout cas, que ce voyage est sans doute une juste chose.  La chose que je devais faire.

Je suis en pèlerinage depuis trois jours.  Ça va te faire rire, je le sais.

J’ai osé. 

Je t’avais toujours dit que je te rejoindrais, non ?  Ben si.  Je t’avais dit que j’aurais trop froid aux pieds, toute seule sur mon canapé en cuir pleine fleur.   Que je ne te laisserais pas toute seule là-bas… enfin ici.  Que j’aimais trop coller mes petons à tes mollets poilus.  Oui, poilus. Quand on ne se rase que toutes les quatre lunes, on les a poilus, ses mollets.  Ils m’ont toujours tenu chaud, tes mollets.  Alors je n’allais pas les abandonner, non mais. 

J’ai été sur place hein, ma puce, mais j’ai rien vu.  Je ne sais pas ce que j’espérais voir au juste.  Une plaque qui dise « ci-git Aurélie, morte pour la patrie ».  Nan, c’est pas vrai, c’était même pas ta patrie.  « Ci-git Aurélie, venue vivre son rêve dans la grosse pomme, qui lui promettait monts et merveilles et un long séjour et l’édition de son dernier roman en langue de Shakespeare et qui lui a offert un linceul et qu’a même pas édité son livre en langue de Shakespeare du coup et c’est vraiment nul ça ».  Nan, trop sinistre.  « Ci-git Aurélie, celle qui rigolait quand on la chatouillait ».  Nan, trop banal.  « Ci-git Aurélie, professionnelle du réchauffage de pieds glacés ».  Parfait.  Perfect.

Quand j’y pense, ça t’aurait fait un super bon sujet de roman, non, notre histoire ?  L’histoire d’une fille (alias moi), qui perd sa jumelle (alias toi) dans l’effondrement des tours du même nom.  Dans l’effondrement des tours éponymes.  Ça, tu aurais aimé, pouvoir placer « éponyme » dans notre histoire.  Tu l’aimais, ce mot.  Tu l’adorais.  Sans doute car il t’avait fallu du temps pour en comprendre le sens.  Sans doute car tu me disais toujours que j’étais ton éponyme.  Ta moitié.  Ton double.  Ta racine carrée.  Ton reflet.  J’étais tout ça, mais j’étais surtout ton éponyme.  Oui, ça aurait fait un bon sujet de roman.  Mais je n’ai vraiment pas ton talent, alors je me contenterai de cette chtite lettre de rien du tout, en guise de conclusion de mon séjour ici.   En conclusion de ton séjour ici. 

Je te dirais bien que les flocons de neige tombent du ciel en même temps que les larmes tombent de mes yeux, mais ça te ferait trop rire.  Tu as toujours détesté les mélodrames.  En particulier les miens.  Alors, on va dire que ce ne sont pas des larmes, que c’est la condensation de mes lunettes propulsée sur mes joues, because l’air co de ce grand hôtel avec vue sur rien.  Vue sur rien.  Mais pas n’importe quel rien.  Ton rien.  Alors, un peu le mien.  Ça y est, je retombe dans le mélodrame.  On va dire que ce ne sont pas des larmes alors.  On va dire ça.

Bon, ben c’est l’heure, je repars demain de l’autre côté de la grande flaque.  Je pensais faire un geste hypra romantique en jetant cette lettre par la fenêtre.  Le vent la transporterait jusque là où tu te trouves exactement, elle se déposerait à l’endroit précis où tu as poussé ton dernier soupir (oh, ça va, je sais, mélodrame, mélodrame, on ne se refait pas), et la boucle serait bouclée.  Mais ces enfoirés d’architectes d’hôtel, ben ils ont fait en sorte que les fenêtres ne s’ouvrent pas.  Sécurité oblige, sans doute.  Bon.  Tant pis.  Je la garde, cette lettre, du coup.  T’auras qu’à faire usage des pouvoirs surnaturels que tu as sans doute pour venir la lire un de ces jours.  Et si t’as pas de pouvoirs surnaturels, ben c’est con.  Passque la mort, sans méga pouvoirs surnaturels, it sucks.  Dying sucks.

Alors on fait comme ça.  On t’attend, ma lettre et moi.

A très bientôt ma puce. Mon éponyme.

PS : au fait, depuis ton départ, j’ai vraiment tout le temps froid aux pieds. 

(Ceci est ma participation au jeu d'écriture du blog à 1000 mains d'après un dessin de Marlène).


Retour à La Une de Logo Paperblog