Lorraine Connection
Dominique Manotti
Le roman débute dans une usine, à la chaîne, avec les ouvriers et ouvrières. Cette première partie fulgurante, comme une immersion dans un documentaire, se
poursuivra sans faiblir.
« Séquestration. On va entrer là où nous ne sommes pas à notre place, envahir leur espace, bloquer nos patrons en chair et en os, les bousculer, les enfermer
avec nous, leur parler d’égal à égal. Au moins pour un temps. On touche à l’ordre social. Au moins pour un temps ».
Choix d’enquête : la privatisation de Thomson, sujet bien réel des unes de journaux à la fin des années 1990. Dominique Manotti en fait un développement romancé ;
le lecteur n’aura aucune peine à croire la possible réalité des petits éléments qui constituent le sujet.
Imbrication entre politique et finance, industrie et pouvoir, subventions européennes et intérêts locaux, entrelacs de complicités et réseaux d’influence. Tout
passe à la moulinette avec une grande précision, Alcatel, Matra, Lagardère, autant de faits rapidement vérifiables, en quelques recherches sur le Net.
Pour autant, Dominique Manotti ne produit pas un essai ou un compte-rendu. Elle articule ces faits techniques et les inclue dans un décor soutenu par des
personnages représentatifs de chaque partie : ouvriers, hommes de la haute finance, enquêteur en assurances, mercenaires.
Les rapports sociaux sont clairement mis en évidence, de notables à flics, d’ouvriers à chefs, et même d’ouvrier à ouvrier, avec toutes les divergences possibles.
L’humain reste au centre de tout. La ville aussi, prototype de la ville ouvrière qui se meurt peu à peu.
« Dans le hall inondé de soleil, une charmante hôtesse derrière un comptoir lui sourit. Sur un grand tableau, le nom de toutes les sociétés présentes dans
l’immeuble. Emploi et formation à tous les étages. Les parasites qui prospèrent sur la gestion sociale du chômage ont tous trouvé refuge ici, où la mairie, qui a racheté les Grands Bureaux, leur
offre l’hospitalité. Tu as bien fait de prendre le large, gamin. »
Dans un style mêlant phrases courtes, hachées, et monologues intégrés, l’auteur ne nous lâche pas. S’il en restait un peu, on perd notre naïveté en même temps que
cette incroyable femme, « Stakhanova ». Lutte et désespoir imprègnent fortement la lecture.
« On n’y croit pas à ces choses-là, on n’y croit pas avant qu’elles vous arrivent. La vie des femmes du peuple compte pour que dalle. Nous pouvons bien nous
faire violer, écrabouiller ou pendre, tout le monde s’en fout ».
Ce roman de la magouille est un roman diablement noir.