Un élève de l'Après-Guerre - page 17.

Publié le 21 novembre 2010 par Douce58
        Il y eut aussi Mademoiselle Margail, une institutrice suppléante toute de noir vêtue, dont je n'eusse pas plus que d'autres maîtresses ou maîtres gardé l'empreinte pédagogique, si je ne l'avais vue pleurer devant toute la classe.  Elle nous lisait un extrait des Misérables.  Depuis un moment déjà, sa voix fléchissait, s'étranglait.  Quand elle en vint au passage, où Jean Valjean soulève le seau trop lourd de Cosette, elle ne put davantage contenir son émotion et elle fondit en larmes, toute secouée de sanglots.  Bien entendu, cette scène fut aussitôt tournée en ridicule par les jeunes barbares que nous étions.  Des rires sarcastiques fusèrent et de stupides huées.  Toutefois, après coup, les moins obtus et les moins ignorants d'entre nous ne purent se soustraire à une interrogation féconde:  comment un livre pouvait-il métamorphoser la stricte enseignante en un coeur sensible et éploré?
        Mademoiselle, soyez remerciée et pardonnez à notre ignorance et à notre brutalité, vous qui avez su, par votre choix d'une oeuvre magnifique et par votre bouleversement à sa lecture, nous montrer qu'il y a dans certains livres une beauté et une vérité telles qu'on peut en pleurer.