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L'incroyable destin de Clarisse (5)

Publié le 23 novembre 2010 par Mazet

Episode 5 – Ce que l'on sait de Clarisse.

Les jours étaient encore courts et les rues de Rodez dans lesquelles s'engouffrait l'Arouergue1 glaciales. Je ne fus pas mécontent de retrouver la chaleur de la librairie de Monsieur Carrère. Je fus surpris de sentir une odeur du café qui me rappelait quelques établissements parisiens. La gouvernante s'empressa de me montrer sa dernière acquisition, un splendide moulin en forme de sablier, signé Claude Chapelon, artisan stéphanois. Elle nous en servit deux grand bols.

- Tu le trouves bon? On le fait venir spécialement de Paris!

- Bien sûr, je n'en ai jamais bu de meilleur.

J'attendis que Monsieur Carrère eut achever son bol.

- Qui était cette Clarisse Manzon que nous avons croisée?

- Ah! J'étais sûr que tu allais être intrigué. Elle fait partie de la bonne société de Rodez même si elle a une réputation sulfureuse.

- Elle a quel âge ?

- Une trentaine d'années, c'est la fille de Monsieur Enjalran, président de la cour prévôtale2. Je peux te dire que dans sa jeunesse, elle lui a donné du fil à retordre. Avec son appétit de littérature, il paraît qu'elle a lu tout Rousseau, elle a acquis un solide esprit d'indépendance. Jusqu'à dix-huit ans, elle ressemblait quasi à une sauvageonne. Le ténébreux château du Perrié, dans lequel elle a grandi avait de quoi nourrir son appétit d'absolu et de liberté. Il paraît que les rapports entre le père, qui prétendait régir sa vie et Clarisse qui voulait vivre la sienne, ont connu de tumultueux orages.

- J'imagine que comme beaucoup de filles, elle s'est apaisée avec le mariage.

- Enfin, c'était sûrement le rêve secret de ses parents!

- Il n'en a rien été?

- A sa décharge, il convient de dire que le mari choisi, n'avait pas de quoi nourrir ses rêves romantiques. Je crois que c'était un officier au prénom belliqueux de Marc-Antoine. Dès qu'il eut rejoint son régiment, il a commencé à porter des cornes. Elle a tout fait pour le décourager. La mère de Clarisse a bien tenté, en vain, de jouer les rabibocheuses. Malgré les avanies, le mari s'accrochait. Revenu de ferrailler en Espagne, il exigeait son dû ! Il le fit même réclamer par voie d'huissier. Comment Mlle Enjalran, qui avait lu Madame de Staël, pleurer sur ses héroïnes aurait-elle pu se satisfaire de petit bourgeois. Pourquoi diable fallait-il qu'il fût amoureux? Mari, elle aurait pu le supporter, mais amant!!

La gouvernante crut bon de s'interposer.

- Voilà où ça conduit, l'éducation des filles ! Je ne suis pas sûre que Mme Manzon sache tenir sa maison.

Je dois dire qu'à défaut du crime l'histoire commençait à me captiver.

- Alors qu' a fait le mari.

- Marc-Antoine était moins sot qu'il n'y paraît. La belle voulait du romantisme, il allait lui en fournir! Il se mit à jouer les amants conquérants, escaladant les murailles du château du Perrié à la nuit tombée pour surprendre sa belle. Des bouquets, des billets parfumés surgissaient de nulle part . Enfin on atteignit des sommets lorsque le juge Enjalran, le père de Clarisse fut un soir tiré de ses rêves judiciaires par une mandoline têtue, installée sous ses fenêtres.

- Ce manège a duré longtemps?

- Jusqu'à ce que Clarisse soit enceinte des œuvres de Marc-Antoine. Manzon croyait être arrivé au bout de son calvaire. Il se trompait, sans les masques, l'échelle et la mandoline, il n'offrait plus grand intérêt. D'ailleurs son beau-père se chargea de le recaser assez loin. Il est percepteur à Crespin.

- En Clarisse?

- Sans son jouet de mari, Perrié était invivable. Les rapports avec son père ne s'étant améliorés, sitôt passé l'accouchement, elle déménagea pour Rodez. Très vite, elle se rendit compte qu'il ne se passait toujours rien.

- J'imagine qu'elle commença enfin une vie mondaine.

- Ou de débauche, comme la qualifie les beaux esprits.

- Donc, je suppose que quelques vieilles bourgeoises ou autres se sont mis à trembler à la perspective de voir leurs époux finir dans le lit de la belle.

- Tout juste, mais elle se sont trompées. Pour Clarisse, les seules mâles consommables sont ceux qui satisfont ses appétits de romantisme. Donc elle s'est tourné vers les militaires. Son frère l'a présentée au lieutenant Clémandot aide de camp du général de Vautré. Il paraît qu'il n'a pas résisté à ses oeuillades.

1Vent du Rouergue

2Tribunaux d'exception crées en 1815 chargé de juger les auteurs de crimes ou d'attentats terroristes, sans juré, sans appel et sans recours possible devant la Cour de Cassation.


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