Je m’appelle Sophie Lucide, un nom bien de chez nous, 100% français. Sauf que mon physique ne correspond pas à cette appellation d’origine contrôlée, on veut toujours en savoir plus. Vous venez d’où ? Strasbourg ? Non, ça colle pas ; des parents étrangers sans doute ? Oui, effectivement, une mère allemande. A voir la gueule déconfite de mon interlocuteur, ça ne doit toujours pas correspondre aux attentes. Bon allez, assez joué, on balance la Vérité qui va contenter : je suis d’origine antillaise, Martiniquaise pour être précise. Ouf ! Ça y est ! Bingo ! Là, ça va, ça colle….le soulagement qui se lit sur le visage reprenant subitement ses couleurs m’a toujours inquiété. Pour la simple raison qu’au-delà de sa filiation on n’intéresse plus, du moment qu’on vous a rangé dans une case….
Le film de Michel Leclerc parle de cela, de l’identité attendue. Les Eric Bernard ou Arthur Martin, on en trouve en veux –tu en voilà, plus difficile de tomber sur une Bahia Benmarmoudh qui n’a pas la gueule de l’emploi, qu’on n’a jamais traitée de sale arabe. (Alors que moi, si !)
Dans cette pure comédie, on ne rit pas vraiment à gorge déployée (quoi que) mais on sourit tout le temps. Rarement, on a l’occasion en France de parler de sujets chauds de l’actualité, rarement on arrive à retranscrire une ambiance. Les personnages traînent leur passé, ou plutôt leur pédigrée comme un boulet pour l’un, une arme pour l’autre.
Bahia nique les fachos au sens propre du terme : quelle idée jubilatoire et quel plaisir la comédienne Sara Forestier prend à endosser son rôle de militante de l’extrême au pied de la lettre ! Arthur Martin en est subjugué et très vite ne pourra plus se passer de cette vision décalée, exhibée, puérile de vivre.
L’identité : Besson l’avait rêvée, Leclerc l’a déclinée. Effacer une mémoire qui colle trop à l’Histoire ou la revendiquer, quitte à payer de son corps la conversion des fachos ? That’s the question…
Pédophilie, communautarisme, religions, principes de précaution …. tout ce qui fait que nous, pauvres français privilégiés que nous sommes, ne cessons de nous interroger de ce poids bien trop lourd à porter, Leclerc apporte avec poésie une touche de légèreté dans le marasme de nos idées pesantes.
Mes ancêtres esclaves et esclavagistes, soldats de la Wehrmacht et de l’armée française se sont réconciliés l’espace d’un instant.
Et si être heureux n’était pas un droit mais un devoir ?
Comédie française de Michel Leclerc avec l’excellente Sara Forestier et le lunaire Jacques Gamblin.