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26 novembre 1909 | Naissance d'Eugène Ionesco

Publié le 26 novembre 2010 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

Le 26 novembre 1909 naît à Slatima (Roumanie) Eugène Ionesco.
Portrait de Eugene Ionesco
Image, G.AdC

  De mère française, Eugène Ionesco partage son enfance entre Paris et La Chapelle-Anthenaise, petit village de la Mayenne. Après le divorce de ses parents, il rentre en Roumanie avec son père et apprend la langue de son pays d'origine. Dans le même temps, ses goûts évoluent et il songe à devenir acteur. Mais son père en décide autrement et Ionesco s'oriente vers l'enseignement. Son goût pour le théâtre le conduit à coucher par écrit les principes de sa future dramaturgie. Après avoir obtenu de la Roumanie une bourse d'études qui le conduit à Paris pour y faire sa thèse, en 1938, Ionesco retourne en Roumanie puis rentre en France où il s'établit définitivement.

   Après des années entièrement consacrées à la dramaturgie ― La Cantatrice chauve et La Leçon (1950), Les Chaises (1952), Amédée ou comment s'en débarrasser (1953), Tueur sans gages (1959), Rhinocéros (1959), Le roi se meurt (1962), Macbett (1972) ―, Ionesco se tourne vers des écrits personnels. C'est d'abord le Journal en miettes, publié en 1967. Paraît ensuite, en 1968, Présent passe passé présent.


EXTRAIT

PRÉSENT PASSÉ PASSÉ PRÉSENT


  « Je ne sais pas très bien si je rêve ou si je me souviens, si j’ai vécu ma vie ou si je l'ai rêvée. Le souvenir, autant que le rêve, me fait profondément ressentir l'irréalité, l’évanescence du monde, image fugitive dans l’eau mouvante, fumée colorée. Comment tout ce qui tient dans des contours fermes peut-il s’éteindre ? La réalité est infiniment fragile, précaire, tout ce que j’avais vécu durement se fait triste et doux. Je veux retenir tout ce que rien ne peut retenir. Les fantômes. Je suis un bonhomme de neige en train de fondre. Je glisse, je ne puis me retenir, je me sépare de moi-même. Je suis de plus en plus loin, une silhouette et puis un point noir.
  Le monde va geler. Une insensibilité polaire a commencé à s’étendre sur nous. Et puis il va y avoir un grand soleil qui fera fondre ces blocs de glace, et puis il va y avoir une vapeur, la brume elle-même se dissipera dans la lumière bleue. Il n’y aura plus aucune trace.

  Hélas, toute la sincérité, toute l’authenticité, toute la vérité, tout ce que j’ai vécu tout seul et senti disparaît déjà dans les clichés, les expressions qui appartiennent au patrimoine public et à la généralité.
  Il n’y a pas d'individu tout seul, nous disent les sociologues structuralistes. Toute sa psychologie provient de l’extérieur, de la société, des poussées et contre-poussées de l’ensemble. Il n’est donc qu’un pion sur un échiquier. Il n’a de valeur que par rapport à l’ensemble. L’individu serait donc une illusion. Il n’existerait pas. Il ne serait rien.
  Ce sont non seulement les études des sociétés archaïques qui ont fait prendre conscience de cela, mais aussi les totalitarismes modernes.
  Cependant, qu'elle soit dans n’importe quelle situation, sur un échiquier, la reine jouera son jeu de reine. Qu'il soit placé n'importe où, le pion ou le cavalier ou le roi ne seront que des pions, des cavaliers ou des rois et joueront, ou bien, on leur fera jouer leur jeu ou leur rôle de pion ou de cavalier.
  Je suis moi-même dans l’ensemble de la collectivité un fou, par exemple. On me fait jouer, bien sûr. On ne peut me faire entrer dans le jeu qu’en ma qualité de fou. À la différence d’un jeu d'échecs, le fou de la société a conscience qu’il est le fou. Je suis le fou, je le sais, et je jouerai, en tenant compte des autres figures du jeu, mon jeu de fou. Je suis obligé d’être fou, mais je joue consciemment en tenant compte de l'ensemble de la situation. Serais-je dans n’importe quelle situation, ou que les situations changent, ma qualité de fou ne changera pas. L’ensemble n’a pas conscience qu’il est l'ensemble. L’individu, moi, le fou, j’ai conscience de ma personnalité de fou. Il n’y a pas de conscience d’ensemble. Il n’y a de conscience qu’individuelle. Ce sont donc bien les situations qui changent, mais mon essence est inaltérable. Nous savions depuis toujours que nous étions en situation. C’est le fait d’en tenir davantage compte en ce moment qui est significatif. Mais c’est toujours moi qui prends conscience de l'ensemble. C’est une manie idéologique de porter aujourd'hui l’accent sur le groupe. Je peux aussi bien mettre l’accent davantage sur ce qui est différent, sur ce qui n’est pas les autres. Je me sens irréductible.

  Le miracle s'est produit. Pour moi du moins. Mes amis des différents ministères m’ont arrangé un bon passeport, avec des visas en règle. Je prends le train demain ; ma femme m’accompagne. Je suis un évadé qui s'enfuit dans l’uniforme du gardien. Mercredi, je serai en France, à Lyon. »

Eugène Ionesco, Présent passé Passé présent, Mercure de France, 1968 ; Éditions Gallimard, Collection Idées, 1976, pp. 280-281-282 (excipit).



EUGÈNE IONESCO

Ionesco- 2

Crédit photo : Franziska Rast,
Erker Galerie, Saint Gall
Source


■ Eugène Ionesco
sur Terres de femmes

→ 11 mai 1950 | Création de La Cantatrice chauve
→ 22 avril 1952 | Création des Chaises, farce tragique de Ionesco
→ 22 janvier 1970 | Le fauteuil d'Eugène Ionesco




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