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D'une vie à l'autre ou rupture... Chapitre X (extraits)

Publié le 26 novembre 2010 par Mariecriture
Pauline est rentrée à Paris, mes amis ont récupéré leur maison et Varech et moi avons regagné les Trois Clefs.
Ma mère est arrivée, toute heureuse d’être en vacances.
Mon visage l’embarrasse un peu, mais elle pense que cela va s’arranger, avec le temps. Elle est totalement inconsciente du danger que j’ai encouru. Ma sœur ne lui a rien dit, si ce n’est que j’ai été malade. Niant l’évidence, Blandine refuse d’admettre que j’ai eu une rupture d’anévrisme, disant qu’il n’y a pas d’artère là où je suis sensée avoir été opérée. Que répondre à cela ?
Toute pimpante, s’activant de-ci de-là, le chien toujours accroché à ses basques. Elle trouve sa chambre agréable et la maison bien avancée, par rapport à ce qu’elle avait connu aux vacances de Noël, l’année précédente.
Il faut dire que l’été est chaud et ce temps, ensoleillé, rend le séjour agréable.
Ma mère est gourmande et adore cuisiner. Je la trouve souvent le nez plongé dans un livre de recettes, les papilles en éveil et se délectant, à l’avance, du plat qu’elle souhaite préparer.
Quand "chef maman" est "en cuisine", Varech ne la quitte pas d’une semelle. On ne sait jamais, un morceau de quelque mets, délicieux, peut tomber et il ne perd pas une miette des préparatifs.
En fait, la demi-pension à Trével -- au centre de rééducation fonctionnelle -- est devenue une grande matinée. Un taxi ambulance vient me conduire et me rechercher.
L’orthophoniste a renoncé à m’aider. Je ne parviens à rien, aucun progrès ne se manifeste. Elle ne comprend pas ce qui se passe. Il y a peut-être un problème mécanique qui n’est pas de son ressort. Une heure de moins pour ma rééducation. D’où, j’ai gagné une heure de plus à la maison. Du moins, c’est ainsi que je le vois. Je peux rentrer déjeuner à Saint Guirec et avoir ma journée pour moi.
Coline Bazin, la mère de l’amie qui m’avait prêté la maison en juin, vient me voir chaque jour. Maman et moi l’aimons beaucoup. C’est une maîtresse femme. Elle est vive et dynamique, d’allure très jeune.
Elle voit que je me ronge, intérieurement et est déterminée à me sortir de mon marasme.
Elle a décidé que le jardin, devant les trois maisons, doit être nettoyé.
-Soaig, dit-elle à Maman nous allons vous concocter un joli petit jardin devant chez-vous.
Cela me fatigue beaucoup mais je n’ose protester, quand mes deux amies le font pour mon bien, cherchant à me distraire de ma peine.
Cela dit, je m’endors le soir comme une bûche, après ces séances d’horticulture. Car nous arrachons les mauvaises herbes, bêchons, plantons.
Maman me demande, enfin :
- Pourquoi as-tu cette affreuse cicatrice et les cheveux coupés, à moitié, sur le devant ?
Ma réponse la fait frémir :
- J’ai été trépanée, maman, après ma rupture d’anévrisme.
- Ne dis jamais ça, ne prononce jamais ce mot ! Les trépanés restent anormaux ! Tu n’as pas été trépanée, ton grand-père ne l’aurait pas voulu !
Tout juste si elle ne tape pas du pied pour marteler ces paroles.
Mon grand-père était médecin. Ma mère le révère. Je sais ce que signifie pour elle ce mot : "trépanation". Un mot tabou, que je l’ai toujours entendue prononcer avec répugnance, dans mon enfance. Mais je ne veux pas entrer dans son jeu.
-Maman, j’ai réellement été trépanée, malheureusement pour moi. Toi et moi n’y pouvons rien changer, c’est ainsi. Mais je ne suis pas "gogole" pour autant, rassure-toi. Les moyens médicaux ont changé, la chirurgie crânienne a fait des progrès, depuis ton père.
- Ne parle jamais de cela devant les gens, jamais !
Pauvre maman, je lui fais honte. Tout ce qu’elle retient de notre conversation, c’est ce mot, infamant : "trépanation". Il ne lui vient pas une seconde à l’esprit combien j’ai pu souffrir.
Je renonce à continuer cette discussion stérile, qui ne nous apportera rien, ni à l’une, ni à l’autre. Et qui me coûte, vu mon élocution toujours aussi peu aisée.
Ma famille ne voulait rien savoir, rien entendre, concernant ce qui m’était arrivé. Libre à elle !
Je suis née dans une fratrie à laquelle j’ai été imposée.
Antoine, mon frère aîné, et Blandine, ma sœur cadette, ne m’aiment pas. Du moins pas comme je les aime et comme je voudrais qu’ils m’aiment.
Mon frère a passé sa vie à m’aimer et à me détester, en fait.
Pour ma sœur, c’est un plus grand mystère. Elle m’aime par habitude, obligation, conviction religieuse. Elle fait son devoir envers moi. Et pas plus.
Peut-être est-ce ma faute, tout cela, ce peu d’amour familial et marital que j’inspire, puisque même mon mari et mon père m’ont abandonnée. J’en souffre terriblement. J’ai un sens aigu de la famille, de l’amour qui doit y régner. J’ai besoin d’une très grande tribu autour de moi -- parents, enfants, frères, sœurs, neveux, nièces -- et je me retrouve seule, avec mon fils. Et mon chien !
Alors, je me suis cherché une sœur, d’adoption. Et je l’ai trouvée. Elle se prénomme Lucie. Quand j’ai fait sa connaissance, chez des amis, elle vivait à Paris depuis quelque temps, venant de New-York. Naturalisée américaine, elle et sa famille étaient originaires de la République Dominicaine. Mon fils avait trois ans quand Lucie a fait irruption dans notre vie, pour le meilleur et pour le pire. Rodolphe s’est attaché à elle et l’a adoptée, lui-aussi.
Depuis, Lucie a regagné New-York, où vivent sa mère et son frère. Lucie poursuit une belle carrière de femme d’affaires et c’est la raison pour laquelle elle est rentrée aux Etats-Unis.
Un souci nouveau, auquel il faut faire face. Je jette un regard à mes comptes. Pas brillants. En ouvrant mon courrier, réexpédié par la poste, je m’aperçois, alors, qu’un avis à tiers détenteur m’a été adressé par le trésor Public, concernant une taxe professionnelle impayée.
Je ne suis plus assujettie à la taxe professionnelle depuis plusieurs mois. Je suis passée du statut de profession libérale, avec honoraires, à celui d’intermittente du spectacle, avec salaire. J’ai pris, tout spécialement, rendez-vous avec un inspecteur, à la Trésorerie, pour cela. J’ai soldé tous mes comptes, TVA, taxe professionnelle et impôts forfaitaires sur le revenu.
Au mois de mars ou avril, j’ai reçu une demande de paiement pour la taxe professionnelle. J’ai envoyé une lettre au Trésor Public, pour dire que je n’y étais plus assujettie, en expliquant bien les raisons de tout cela. Je n’ai reçu, comme réponse, qu’un rappel pour payer. J’ai pris mon téléphone, ma meilleure intonation -- bien que je bouille de colère -- et j’ai expliqué, patiemment, de vive voix, à l’inspecteur qui me répondait, ce qu’il en était.
- Pas de problème a dit le monsieur du fisc, je vais réparer cela. Je suis désolé, c’est une erreur regrettable.
- Je n’ai plus à m’en inquiéter, tout va rentrer dans l’ordre ? ai-je demandé, pour confirmation, à demi rassurée.
- Vous avez ma parole.
Forte de cela, j’ai pu passer à autre chose. C’était un tort. Le monsieur n’avait pas de parole, ou, alors, il en avait plusieurs, de rechange.
Et les impôts, en ce mois d’août, m’avaient prélevé, sur mon compte, une fort jolie somme. Aidés en cela par ma banque, qui en avait profité pour ponctionner sa quote-part, au passage, sous couvert de frais de gestion.
Je suis atterrée et appelle, immédiatement, le Trésor Public et le fameux inspecteur. Par chance pour moi, sinon pour lui, il n’est pas encore en congé.
- Bonjour monsieur, vous vous souvenez de moi ?
- Tout à fait. Qu’est ce que je peux faire pour vous ?
Je lui explique, d’abord, que j’ai eu un problème de santé et que j’ai du mal à prononcer certains mots.
- Cela ne s’entend pas, répond-il, poli
Je lui ressors tout ce que j’avais déjà dit au printemps, au sujet de la taxe professionnelle et de ma position actuelle de salariée. Et j’ajoute :
- Le Trésor Public a émis un ATD, sur ma banque et effectué, illicitement, un prélèvement sur mon compte, pour une taxe non due.
- Vous pouvez répéter ? me dit l’homme qui venait de me dire que mes difficultés de paroles n’en étaient pas.
Je répète ma phrase en détachant mes mots. Je lui explique que l’on m’a causé un grave préjudice financier, vu les circonstances.
Il prend un air étonné, du moins, il a la voix de l’air qu’il doit afficher.
- Comment cela est-il possible ? Je vérifie immédiatement.
- J’attends.
…Un bon moment. Le téléphone n’est pas gratuit, mon compte est presque à sec, l’état me dérobe, injustement, mes fonds, et je dois attendre le bon vouloir de ce nigaud ou de cet incompétent ! C’est le comble !
Il revient, enfin, au bout du fil :
- Vous avez raison. Nous allons réparer cette erreur, immédiatement.
Il l’a fait, mais je n’ai jamais récupéré mes "billes", pour la soustraction côté banque !
L’été se passe tant bien que mal, pour moi du moins. Car pour ma mère et le compère Varech, ils nagent dans le bonheur.
Il fait beau, les amis sont là et maman est à son affaire : elle cuisine et chacun apprécie les préparations de Soaig la cordon bleu des trois Clefs.
Moi, je me ronge intérieurement. Que fait Rodolphe, il donne de moins en moins de ses nouvelles, ne répond presque jamais au téléphone.
Aurai-je le courage de lutter encore et toujours, d’affronter l’inconnu. Car, avec tous mes handicaps, quel est l’avenir qui m’attend, maintenant ? En ai-je encore un, seulement ? Ou ne suis-je plus qu’un débris, que ma famille va devoir assumer, supporter ?

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