J’hésitais à écrire quelques mots à propos d’une rencontre de métro l’autre soir, ou à écrire encore sur mes hésitations à publier ici le reste de mon roman. J’ai finalement publié tout un chapitre hier. Certes encore une fois découpé, parce que je ne crois pas que la lecture à l’écran puisse se faire autrement, mais cette fois j’ai préféré proposer tout le chapitre d’un coup. Peut-être est-ce parce que c’est un moment clef de cette histoire, ou bien est-ce parce que c’est maintenant que je veux tourner une page en sortant cela. Oui, je dois évacuer… Et du coup, je l’ai mis aussi en PDF, j’ai même installé une version PDF des six premiers chapitres en un seul fichier. Je l’ai mis aussi sur wobook qui, à mon avis, propose une formule assez intéressante de lecture à l’écran. Voilà, c’est dit, je peux passer à autre chose.
Autre chose, c’est une rencontre de métro. J’étais l’autre soir assis, mon ordinateur sur les genoux, à écrire. Oui, j’écris aussi dans les transports en commun. Il y avait un homme, pas très net, avec un sac et une canette de bière. Pas tout à fait un clochard, ni un type qui fait la manche. Il est venu s’assoire en face de moi. « Pardon, M’sieur, j’y comprends rien moi aux ordinateurs ». Mais il ne voulait pas me parler d’ordinateurs, ni de ce que je pouvais bien faire avec. D’ailleurs, j’ai laissé tomber ce que j’étais en train d’écrire. Qu’avait-il à me dire, cet homme là ? Rien, juste raconter sa vie. Des années dans la drogue, héroïne, cocaïne et autres cochonneries. L’hôpital aussi. Selon lui, il faut éviter celui de Villepinte et aller à l’Avicenne de Bobigny, vu que le premier lui a laissé deux bactéries dans le corps, qu’il a failli en crever. Comme avec « le » virus hérité de ses années d’addiction aux drogues dures. Je ne sais pas pourquoi je l’ai écouté. Il semblait avoir besoin d’une oreille, d’une main à serrer pour dire au revoir. Je voyais bien le regard des autres passagers de ce wagon, qui me plaignaient, moi qui avais eu la malchance d’avoir à subir ce clodo pas très propre et puant la bière. Mais je n’ai rien subi, je l’ai écouté, je lui ai répondu, qu’avais-je de plus intéressant à faire de toute manière ? Mais on ne parle pas dans le métro, on n’écoute pas non plus. On doit rester isolé dans sa bulle, rester sourd et aveugle à tout ce qui nous entoure.
Je ne lui ai pas dit pourtant, à cet homme, à quoi il me faisait penser. Oui, il était seul, il était un « mort » de la société, comme je les définis dans mon autre roman, « crime passionnel », qui n’avance pas beaucoup en ce moment. Mais c’est une autre image qui me venait en l’entendant prononcer les noms de ces drogues qui l’ont détruit. Oui, je voyais ces autres hommes, jeunes encore et déjà au bout du voyage, que j’ai croisés il y a trente ans dans un hôtel douteux de Bangkok où les hasards d’un voyage m’avaient conduit. Je ne suis pas resté dans cet hôtel, et de toute façon, je n’étais à Bangkok qu’en escale, ce n’était pas le but de ce voyage. Mais là, devant cet homme usé, il me revenait ce que j’ai vu dans cette arrière salle, dans cet hôtel où la plupart des clients connaissaient les sorties dérobées pour fuir les descentes de police. C’était un monde auquel je n’appartenais pas. J’aurais pu, moi aussi, y basculer.
La vie est une succession de carrefours. Il y a des routes que l’on prend, d’autres qu’on oublie. Parfois, on regrette les chemins sur lesquels on ne s’est pas engagés, comme celui que je n’ai pas pris l’autre printemps quand je fus libéré d’une autre addiction. Ces voies ignorées ont un avantage, on ne sait pas ce qu’elles auraient réservé et on peut encore les rêver.