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Roselyne Sibille/Liliane-Ève Brendel, Lumière froissée

Publié le 27 novembre 2010 par Angèle Paoli
Roselyne Sibille/Liliane-Ève Brendel, Lumière froissée,
Voix d’encre, 2010.



NÉGATIF ÉBLOUISSANT

  C’est d'abord un titre bref : Lumière froissée. Et sur la page, une forme de même couleur isocèle et massive, immobile dans le vent qui s’ébouriffe en gerbe.

  Entre les deux espaces, titre et formes, deux noms de femmes accordées. L’une pour le texte, l’autre pour les encres qui l’accompagnent. Roselyne Sibille/Liliane-Ève Brendel. Ouvrage à quatre mains, Lumière froissée a été publié par Voix d'Encre en octobre 2010.

  La lumière, froissée, se déplie s’éploie se tend s’étire, porteuse de secrets invisibles. Parfois elle bondit en falaise en fissures, parfois elle se dilue, disparaît mangée par les nuages, « ciel absenté », silence majestueux.

  Cette lumière-là n’est pas une lumière anodine. Elle est celle qui baigne la Montagne Sainte-Victoire, vaste vaisseau de mer qui ancre sa voilure dans le ciel de Cézanne. Aile trempée du même bleu que celui du peintre, bleu froissé tirant sur le gris, elle se teinte parfois du mauve d'une prière ― « cœur violet » ―, ou du rouge d’un coquelicot pris dans l’éclaboussure de sa tache. Variations sur les formes et sur les couleurs où domine le gris-bleu, les encres strient la page adverse à l’écriture, mots et traits en écho, masses ou taches accordées aux phrases qui se déplient ou se recroquevillent, éclaboussent la page, mots étincelles jaillis du mystère, mots agglutinés soudain en vagues s’étirant en crêtes longues portées par le vent. Mots dispersés, éclats qui trouent le silence blanc du glacis de la page.

  Parfois un nom surgit, intemporel. Qui dit la dureté du lieu, son âpreté de toujours sur l’horizon dépecé par la « falaise hallucinée » de la montagne. Cengle-Durance-Brèche des Moines-Saint Antonin sur Bayon-Sainte Victoire. Parfois des pentes douces font croire au regard qui se pose que la montagne a renoncé à sa coupe abrupte. Mais toujours la Victoire retrouve son amplitude dans le ciel, sa masse de Géante taillée à la hache. Dans la violence de la forme qui vogue à l’infini, un papillon traverse l'air de sa fugacité aérienne. Légèreté. Parfois l’italique s'empare d’un mot, d’une phrase, créant la surprise de la séparation : l’odeur du thym s'agrippe. Parfois un « je » fait son apparition, inattendu, pareil à une confession : « j’ai respiré avec l'arbre », « je ne sais pas où va le vent ». Poète et peintre habitent le lieu, dérivent ensemble à l'unisson de sa voix, de son appel, de sa présence. Violence et tendresse mêlées, qui laissent abasourdi. Comme le promeneur dans la garrigue par jour de grand mistral.

  Dernière confidence du poète : « près de moi la fleur s'est pliée sous l'abeille ». L’amie peintre tire un trait fin sur la page, entre deux éclaboussures d'insecte et de fleur. Le monde qui s'étire dans le « matin fluide » n’est rien d'autre que ce menu fil tendu dans la « lumière froissée ».

  « Rien
  ni eux
  ni elle
  ni lui.
 »

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli

Lumière froissée 2



■ Roselyne Sibille
sur Terres de femmes


→ Nuit ou montagne (poème extrait du recueil Lumière froissée)
La tendresse me racine
Le souffle des mondes (Anthologie poétique Terres de femmes)

■ Voir aussi ▼

→ (sur le site des éditions Voix d'encre) plusieurs poèmes extraits du recueil Lumière froissée
→ (sur Wikipedia) un article bio-bibliographique sur Roselyne Sibille (article revu par Roselyne Sibille)
→ (sur le blog de La petite librairie des champs) Roselyne Sibille/Sur l'île de mes mots (poème)



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