L’hiver est déjà là
Hier la première neige
Aujourd’hui le froid
La grisaille
Paris
Son centre
Beaubourg après le restau
On musarde
Soudain une envolée de pigeons
Un homme est là
Un marginal comme on dit
Un que la société n’arrive pas à digérer
Et qu’elle crache sur les trottoirs
Ou sur les bancs du métro
Jusqu’à une certaine heure seulement
Quel âge a-t-il ?
Difficile à dire
Il manque de l’essentiel
Autrement dit de tout
D’un toit, de chaleur
Il pose
Certains le prennent en photo et partent
D’autres le regardent de travers
« saloperie de pigeons ! »
Il leur donne des miettes de pain
Les pigeons
Il les regarde avec un magnifique sourire
Comme s’il les connaissait un à un
Eux s’approchent
Ils ne craignent pas les odeurs
Ils aiment la main qui leur donne à manger
Ils sont dans la même galère
S’il gèle, il leur faudra, comme lui, trouver un abri
Manger ça réchauffe !
J’ai bien mangé
Mais malgré mon manteau
Le vent s’acharne à me montrer la réalité du froid
Quand les pigeons s’envolent c’est impressionnant
Le ciel disparaît sous un rideau d’ailes
Lui, il gueule après ceux qui les dérangent
Mais les pigeons reviennent quasi instantanément
Moi je l’ai déjà pris en photo
J’attends une autre panique pour un cliché
Je sais ce que je veux
Les pigeons, je les vois avec l’œil du photographe
Un bon sujet.
Lui a une gueule
Je n’aime pas d’habitude voler l’image des gens,
Il y a là-dedans quelque chose qui me gène,
Mais comme il semble se prêter au jeu…
J’attends
Quand on veut une image, il faut avoir de la patience
C’est la chasse
L’appareil est prêt
Ne manque plus que l’importun qui fera s’envoler la bande
Le voilà
Débandade, le ciel se couvre
C’est dans la boîte !
Je contrôle
Elle est bonne
Je ne vais pas tirer ma révérence sans qu'il l'ait vue
On ne dispose pas de l’image des autres comme ça
Je m’approche et lui montre
Je lui dis que sur la photo on dirait qu’il a des ailes
Il me dit qu’il aimerait bien
Je prends soudain la mesure de son désarroi
Une inflexion
Une attitude
Il n’a pas toujours été à la rue…
Il a l’accent italien
Il regarde de nouveau la photo
« C’est dommage que je n’ai pas de domicile… »
Je n’osais pas lui poser la question
On a de ces retenues parfois !
Alors je lui demande s’il est souvent ici
« J’y suis tous les jours »
« Je vous apporterai une photo ! »
Il sourit
Je lui demande son prénom
« Giuseppe ! »
Je vous parle de Giuseppe
Il fait nuit
Je suis chez moi
Bien au chaud
Il peut geler cette nuit
Je ne crains rien...
©Adamante