Bo

Publié le 28 novembre 2010 par Banalalban

J'ai envie d'être un écrivain célèbre, je suis fait pour être un écrivain célèbre, je ne suis né que pour être un écrivain célèbre.

Il ne passe pas une seule journée sans que je ne m'entraîne à répondre à des questions : j'ambitionne de passer à la télé, prendre part à des interviews et participer à des Talk-Shows et je dois donc m'entraîner. Les chroniqueurs de nos jours et les critiques ne sont pas tendres : il est plus que vital de bien se préparer.

La célébrité ne me fait pas peur car je la mérite.

Je suis fait pour elle, nous sommes faits pour nous entendre.

C'est comme si nous étions amis depuis toujours.

Déjà tout petit ma mère disait : "Bo, c'est un sacré numéro, il ira loin "!

J'ai travaillé mon image car avoir une image, proposer un personnage, bâtir une personnalité forte, c'est important pour passer à la télé, être populaire et être un auteur envié. J'ai travaillé mon image donc : j'ai fait un stage. Un stage à 1200 euros. J'ai changé ma garde-robe, changé de coiffure, changé jusqu'à ma façon de parler. Je marche un peu différemment aussi et cultive depuis peu un certain détachement, ce détachement qui est la marque de fabrique des meilleurs écrivains.

Ce regard vague qui dit : "Je regarde le monde différemment de vous". 

"Je possède une réalité qui m'est propre et que vous ne pouvez comprendre".

"Chez moi, tout est cérébral : je n'appartiens pas véritablement au monde physique que vous appréhendez tous les jours".

Je me suis forgé une opinion politique car être un auteur engagé, ça participe.

Malraux n'aurait pas été Malraux s'il ne s'était pas engagé dans un combat. Et des exemples comme ça, il y en a plein...

Ainsi je lis beaucoup de journaux, des magazines d'économie et d'études politiques et jusqu'à même des textes de lois très compliqués et écrits très petits.

Je prends des cours à la Sorbonne.

Je suis l'auteur de trois romans tous très brillants et qui, j'en suis sûr seront des best sellers. Ils ne sont pas encore publiés mais j'y crois beaucoup : ils ont un potentiel monstre. Ils seront vendus à des millions d'exemplaires et traduits dans de nombreuses langues. J'ai bossé sur des sujets universels qui j'en suis certain aussi, toucheront le plus de monde possible. J'ai fait en sorte qu'ils soient impactants. C'est important d'établir une stratégie sur ce que l'on va écrire, sinon c'est creux et ne trouve aucune résonance auprès du lectorat. Une fois encore, lire la presse est primordiale pour saisir l'air du temps et les préoccupations ambiantes. Je ne comprends pas ces écrivains qui parlent de passion et de besoin : l'écriture est un métier à part entière. Le monde des auteurs est un vrai marché : il faut arrêter de croire et de prétendre que c'est autre chose. Je veux vivre de l'écriture. C'est ça le but. Le reste, le besoin, la passion, c'est du baratin. Il faut arrêter un peu avec ce mythe de l'auteur maudit.

Sinon ça ne sert à rien, juste à faire un peu bien, et encore.

J'ai envoyé mes manuscrits aux plus grands éditeurs : je ne me suis pas encombré d'envois à de petites maisons d'éditions car qui voudrait être publié à hauteur de centaines d'exemplaires seulement et rester confidentiel... certainement pas moi. Si c'était le cas, j'aurais fait autre chose de ma vie.

J'aurais été prof de français au lycée ou documentaliste dans un CDI de collège.

J'ambitionne de me retrouver en tête des ventes et en tête des gondoles dans les grands magasins aux rayons "Coup de Cœur" et "Meilleures Ventes". J'ambitionne de faire des apparitions remarquées lors du Salon du Livre et d'avoir des admirateurs/trices qui me suivent partout et me flattent. Je tisserai une relation privilégiée avec eux et, lorsque je n'aurai plus le temps, je chargerai quelqu'un de répondre à leur courrier à ma place.

Ma conseillère littéraire que je paye 900 euros par mois croit beaucoup en moi. Elle dit que je suis formidable et que mes idées sont novatrices et spectaculaires. Je la rétribue pour qu'elle réussisse à me placer aux meilleurs endroits. Je l'ai choisie car elle a déjà lancée de nombreux auteurs, ceux qu'on voit beaucoup à la télé et qui chaque année sortent un très bon livre qui se place très vite aux meilleurs places.

Je vais à toutes les lectures d'auteurs et j'essaye de me faire ami-ami avec eux pour que tous sachent ce que je fais : c'est important. Si on me demande qui je suis, je réponds : "Je suis écrivain". Puis, très intelligemment : "Je connais Machin" et comme Machin m'a déjà rencontré lors d'une lecture, il ne peut pas le nier.

Le : "Je suis écrivain" est également une arme imparable pour faire venir les filles dans un lit. Ça marche facile. Parce que les filles, ça s'impressionne toujours pour des mecs qui sont sensibles. Sensibles ou sportifs. Et comme je ne suis pas sportif, je fais le sensible. Et je ne suis pas prêt de vouloir arrêter. Si on ajoute à cela le terme "Poète", c'est le jackpot assuré niveau filles. Une fille, ça tombe facile. Il faut juste faire attention car le terme "Poète" attire aussi beaucoup les névrosées. Les névrosées n'aiment généralement pas les sportifs et s'accrochent essentiellement aux poètes dans l'espoir de tomber sur une personne encore plus névrosée qu'elles et pouvoir ainsi réussir à relativiser. Le terme "Poète" est donc à utiliser avec précaution sinon on se retrouve vite avec une folle qui vous suit partout tout le temps en vous prenant pour un Dieu. Qu'on me prenne pour un Dieu ne me gêne pas, notez, mais c'est bien moins valorisant lorsque ça vient d'une folle à tendances suicidaires. C'est moins crédible en tout cas pour ceux qui le voit. Les filles normales c'est plus sain et moins chronophage.

Sur tous les réseaux sociaux, je me définis comme "écrivain" d'ailleurs. Dans la case métier, j'ai mis "Ecrivain" et dessous une phrase philosophique de mon cru pour être crédible. J'y flatte tous mes contacts auteurs. C'est une dynamique identique à celle précédemment évoquée. Je le fais néanmoins avec subtilité : les flatteurs qui en font trop ne sont pas pris au sérieux et sont jugés pour ce qu'ils sont : des flatteurs qui en font trop. Des flagorneurs. Les réseaux sociaux permettent d'élargir son carnet d'adresses et ils sont très importants pour se faire connaitre. J'y ai défini une ligne de conduite, pour que tout le monde sache que je suis quelqu'un de vraiment sympathique et de vraiment doué : je fais en sorte de garder une part de mystère qui cultive la curiosité, le but étant de se faire connaître mais aussi de se faire désirer. Inutile donc que j'y raconte ma vie. Ainsi je ne passe pas pour un flatteur qui en fait trop mais pour un écrivain renommé, chose que je ne suis pas encore tout à fait mais qu'importe puisque cela va arriver.

J'ai une idée très précise des couvertures de mes futurs premiers romans et je n'accepterai aucune correction de la part des éditeurs qui me choisiront: on sait quand un roman est bon et les miens sont intouchables, il en va de même pour les illustrations. J'ai déjà fait quelques photos qui feraient de très bonne couvertures ainsi que différents dessins tous très jolis que j'imposerai le moment venu. Effectivement, je dessine. J'ai plusieurs cordes à mon arc. Je prend des cours de chant aussi. Les gens aiment les artistes qui ont plusieurs casquettes.

Je me suis donné une date pour être édité.

J'en suis sûr : ça va fonctionner.

Je veux être un écrivain célèbre, je veux qu'on me connaisse.

Je le mérite.

Parce que j'écris vraiment vachement bien et que je travaille beaucoup et de manière efficace.

Et que mon agent à confiance en moi.

Je la paye pour ça.