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Ecrire et lire : un acte de solidarité

Publié le 29 novembre 2010 par Xavierlaine081

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A l’occasion de la semaine de la solidarité, j’écrivais un long poème dédié à l’Afrique, et à ses dignes représentants : Léopold Sédar Senghor, Toussaint Louverture et Aimé Césaire. Je sais que ce poème fut lu, mais je ne sais rien de ce qui est advenu du texte ci-après. Je le livre comme un fragment de réflexion sur la place que la littérature en général, et la poésie en particulier devraient tenir, dans un monde qui tend à réduire les êtres à l’évènement, au scoop, à l’instant sans jamais chercher la moindre élévation. 

La culture : un outil pour la

Je ne voulais pas en rester au seul poème, comme une fleur posée entre les mains solidaires. Je réfléchissais aux mots qui pourraient venir à votre rencontre en mon absence. Car c’est toute une réflexion que d’écrire et de se mêler de ce que ce monde tisse en son histoire. 

Nous vivons un temps qui range nombre d’écrivains au rang de producteurs de l’objet livre, conçu comme un produit de consommation comme un autre. Cette conception est une incitation à n’écrire que ce qui convient pour ne point mettre à mal les actionnaires qui comptent sur leurs dividendes, derrière chaque vente. 

Ainsi, on a pu assister, au fil de ces dernières années à une mise au pas de la littérature de création qui, de ce fait, se trouve en difficulté éditoriale, sauf à rencontrer l’éditeur courageux qui acceptera d’enfreindre l’omerta imposée par les financiers. 

Lors du conflit guadeloupéen, neuf intellectuels ont rédigé un « Manifeste pour les produits de nécessité », parmi lesquels figurait en bonne place, la culture sous toutes ses formes, et, en particulier, le livre. Savaient-ils la teneur des propos de Federico Garcia Lorca, tenus devant la population de Fuentes Vaqueros (Grenade), en septembre 1931 ? 

Peut-être pas. Mais, au moment de compléter mon poème d’un texte invitant à réfléchir à la place des écrivains dans le mouvement solidaire, ces propos me sont parvenus. 

Je me contenterai de les retranscrire ici, sans rien en changer, les faisant, de ce fait, miens. 

Discours de Federico García Lorca à la population de Fuentes Vaqueros (Grenade), en septembre 1931 

« Quand quelqu'un va au théâtre, à un concert ou à une fête quelle qu'elle soit, si le spectacle lui plaît il évoque tout de suite ses proches absents et s'en désole: “Comme cela plairait à ma sœur, à mon père!” pensera-t-il et il ne profitera dès lors du spectacle qu'avec une légère mélancolie. C'est cette mélancolie que je ressens, non pour les membres de ma famille, ce qui serait mesquin, mais pour tous les êtres qui, par manque de moyens et à cause de leur propre malheur ne profitent pas du suprême bien qu'est la beauté, la beauté qui est vie, bonté, sérénité et passion. 

C'est pour cela que je n'ai jamais de livres. A peine en ai-je acheté un, que je l'offre. J'en ai donné une infinité. Et c'est pour cela que c'est un honneur pour moi d'être ici, heureux d'inaugurer cette bibliothèque du peuple, la première sûrement de toute la province de Grenade. 

L'homme ne vit que de pain. Moi si j'avais faim et me trouvais démuni dans la rue, je ne demanderais pas un pain mais un demi-pain et un livre. Et depuis ce lieu où nous sommes, j'attaque violemment ceux qui ne parlent que revendications économiques sans jamais parler de revendications culturelles: ce sont celles-ci que les peuples réclament à grands cris. Que tous les hommes mangent est une bonne chose, mais il faut que tous les hommes accèdent au savoir, qu'ils profitent de tous les fruits de l'esprit humain car le contraire reviendrait à les transformer en machines au service de l'état, à les transformer en esclaves d'une terrible organisation de la société. 

J'ai beaucoup plus de peine pour un homme qui veut accéder au savoir et ne le peut pas que pour un homme qui a faim. Parce qu'un homme qui a faim peut calmer facilement sa faim avec un morceau de pain ou des fruits. Mais un homme qui a soif d'apprendre et n'en a pas les moyens souffre d'une terrible agonie parce que c'est de livres, de livres, de beaucoup de livres dont il a besoin, et où sont ces livres? Des livres! Des livres! Voilà un mot magique qui équivaut à clamer: “Amour, amour”, et que devraient demander les peuples tout comme ils demandent du pain ou désirent la pluie pour leur semis. 

Quand le célèbre écrivain russe Fédor Dostoïevski - père de la révolution russe bien davantage que Lénine - était prisonnier en Sibérie, retranché du monde, entre quatre murs, cerné par les plaines désolées, enneigées, il demandait secours par courrier à sa famille éloignée, ne disant que : ” Envoyez-moi des livres, des livres, beaucoup de livres pour que mon âme ne meure pas! “. Il avait froid ; ne demandait pas le feu, il avait une terrible soif, ne demandait pas d'eau, il demandait des livres, c'est-à-dire des horizons, c'est-à-dire des marches pour gravir la cime de l'esprit et du cœur. Parce que l'agonie physique, biologique, naturelle d'un corps, à cause de la faim, de la soif ou du froid, dure peu, très peu, mais l'agonie de l'âme insatisfaite dure toute la vie. 

Le grand Menéndez Pidal - l'un des véritables plus grands sages d'Europe - l'a déjà dit: « La devise de la République doit être la culture ; la culture, parce que ce n'est qu'à travers elle que peuvent se résoudre les problèmes auxquels se confronte aujourd'hui le peuple plein de foi mais privé de lumière. N'oubliez pas que l'origine de tout est la lumière. » 

Place de la littérature dans le mouvement solidaire 

C’est une question qu’on se pose peu : suffit-il de pain et d’eau pour sortir quelqu’un de la misère ? Ou de ce plus que représente l’accès à un savoir autonome, à une culture partagée ? 

On peut édicter des règles de fonctionnement de la société qui « moralisent » le capitalisme. On peut même se doter de structures juridiques qui revêtent toutes les parures de la solidarité. On peut donner beaucoup d’argent, récolter des fonds, les distribuer pour maintenir en vie des populations entières.  Notre conscience en sort grandie, mais est-ce bien suffisant ? 

Car le propre de l’Homme et sa grandeur n’est pas seulement de se nourrir, d’acheter ou de vendre, non, ceci serait bien réducteur. 

Le propre de l’Homme est de s’être construit cette capacité à échanger de la culture. Et cela n’a pas de prix. C’est ce qui nous distingue et nous fonde dans une humanité que nous n’avons pas encore atteinte, et que nous n’atteindrons peut-être jamais totalement. C’est une condition de notre survie, en tant qu’humain que de permettre à chacun d’accéder à des codes et à des savoirs qui lui offrent son autonomie de pensée, clef vers son autonomie sociale. 

Il m’a très gentiment été demandé un poème à propos de l’Afrique, et je l’ai écrit. Et vous allez l’entendre, non de ma bouche, contraint que je suis de travailler en des heures tardives pour me permettre d’acheter les livres que je donne ensuite, parfois, à la bibliothèque de l’école où mon fils apprend, à son tour, la lourde mission de devenir humain. 

Car, comme pour Federico Garcia Lorca, lorsqu’il m’est arrivé de flancher sur le chemin de la vie, il me fallut apprendre à dormir sur un maigre tapis, me contenter d’un quignon de pain, mais je n’ai jamais sacrifié ma passion pour la lecture, ferment de tout travail d’écriture, et d’une pensée indépendante. 

J’ai donc écrit, mais je suis resté sur ma faim. Car, pour moi, la solidarité ne peut se limiter à ces gestes, certes louables, mais se doit de nous pousser à réfléchir à la place que nous tenons en ce monde. Et nous savons toute l’urgence qu’il y a, devant les imposantes cohortes d’affamés et d’exclus, à réfléchir vite à cette place que nous nous devons de tenir, qui soit une place de libération des jougs qui maintiennent la plupart sous la coupe de l’ignorance. 

Je ne sais, mais il ne me semble pas que la question de la culture soit souvent posée, dans ce contexte. J’ouvre la question. Je me tiens debout pour, à l’avenir, pouvoir y réfléchir. 

« Des livres! Des livres! Voilà un mot magique qui équivaut à clamer: “Amour, amour”, et que devraient demander les peuples tout comme ils demandent du pain ou désirent la pluie pour leur semis. »  Ainsi parle Federico, en 1931. Son cri résonne, intact, car les peuples, confrontés à cette misère horrible, dans un monde qui ne manque pas de richesses, ne peuvent aussi penser, prisonnier de l’urgence, à cette nourriture là. 

C’est à l’écrivain que je suis que revient le rôle de mettre les grains de sable indispensables, dans les rouages de nos oublis. 

Xavier Lainé 

Manosque, 14 novembre 2010 


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