Dans la jungle de la toile il y a un blogue, dans la jungle de notre temps il y a un type formidable, c'est Fabrice Melquiot, écrivain de théâtre, poète. Il est magnifiquement étoilé, vivante Vie...
http://www.fabricemelquiot.com/
extrait de son blogue...
Tu étais là
Parfois
Tu t’en allais régler ta montre à l’heure des fuites
Au bout du compte miauler déglutir
Mille aiguilles dans la main plantées
Si
Profondément
Que ton pouls crachotait des tic-tac
Tu espérais voir le monde depuis ta fenêtre
Emportant ta fenêtre avec toi et tes yeux de vitre infecte
Tu aimais entendre au fur de tes pas
Se briser le miroir de la
Jeunesse
Que tu piétinais de tes forces vaines
La lumière était lasse chaque fois que tu voulais en respirer les vapeurs
Tu étais là
Tu étais vraiment là
Couché dans le sillon mouillé des pays franchis
Sous des orages plus fidèles qu’un chien
Tu étais au monde
Au point de le savoir cet étranger dans le désert qui réclame l’eau de ta gourde
Que son chemin ne finisse pas dans sa soif
Le monde où tu allais écoper rires et douleurs
Te blottir contre des murs crépis
Remodeler souvent ton
Visage
Dans des voyages inachevables au bout desquels tu espérais
Gueuler : assez vu
Mais tu ne voyais jamais assez
Et tu t’endormais la nuque contre ton sac rempli de distance
Les nuits n’étaient jamais amicales tant mieux
Tu les préférais
Solides comme des coups de poing
Ce n’était pas chez toi jamais chez toi
Ce ne sera jamais chez toi ça n’existe pas : chez toi
Il n’y a pas
Il n’y aura pas
Il n’y avait pas depuis le début de toi
Pourtant
Tu étais là
Tu étais vraiment là
Les nuits crevaient dans les hauts quartiers de disparition
Tu espérais à travers les cloisons
Que fonde ton corps de briques avec son âme au centre
En guise de fenêtre
Et les singes qui jouaient à l’ouvrir à la fermer
Tu cherchais à traverser remailler l’espace entre les êtres et toi
Détoiler démembrer peut-être
Que flottent jusqu’au soleil bras jambes et gencives libres de pesanteur
Tu rêvais ces presque mânes en enfants brûlés d’Icare
Un soir au bord de la Yamunâ
Un milliard et cent trois millions de cœurs brouillés tordant le nid des thorax sur la berge avec la boue de petits bateaux de carton
Fichus
Qui coulent sitôt lancés qu’on nommait tendresse entre nous le soir un soir hier jamais
As-tu déjà été à ce point la somme dérisoire de tes membres ?
Déchirant assemblage de papier dans du feu ignorant l’imploration des monstres déboutés par le ciel éclopés mourant au pied de la mosquée Jama Masjid dans les chèvres et les commerçants
Comme ils se sentaient merdeux les hommes de s’être ratés de la sorte de s’être oublié une jambe de s’être oublié les pieds de s’être oublié les yeux une main gauche une clavicule
Et la peau n’était qu’un voile soudé aux chairs pour les cacher à mesure qu’elles se corrompaient rongées par la gangue et les gangrènes
Tes larmes ont doucement tari
Comme l’enfant rose et noire brouillon d’enfant
Se jouait de la théorie des atomes
Elle a passé dans la terre en est devenue parcelle sous tes yeux blancs : Centimètres carrés de ton sol rose et noir sur lequel
Tu marches
Et les singes ouvraient fermaient la fenêtre faisaient claquer
Tes contrevents
Quand tu regardais le mendiant
Tu ne voyais plus l’enfant ni le vieillard
Quand tu regardais l’enfant ou le vieillard
Tu ne voyais que le mendiant
Le jour
S’écaillait
Tu te demandais combien de fois peser les mots et si la même balance vaut pour la vie
Tu apercevais un au-delà pour la
Parole
La seule présence
Tu voulais dire : j’étais là j’étais vraiment là
Etait-ce déjà mourir ?
Tu allais sans corps ni fonction sans vraie nécessité – ne le cache pas –
À la mauvaise santé de ta conscience
Aux cénotaphes nombreux où l’homme ne dormait plus
À ces poignées de mains et de mots qui pouvaient bien crever
Tu trinquais
En passant tu révisais la liste des choses à être plus tard :
Une aiguille à chapeau
Une vache pas sacrée du tout rien qu’une vache
Etre une vache
Un panneau de signalisation
Un chien au soleil
Une chemise déchirée au coude
Un vieux pot de mayonnaise
Un collier de fleurs
Du grillage
Et enfin
La gorgée d’eau susceptible de tirer tout homme du désert
Sur les rives de la rivière Betwa
Les lavandières lâchaient leur tresse et se battaient
Avec les draps de lessive
Elles dressaient en même temps que leur buste
Nu
La liste des choses à ne plus être plus tard :
Elles écrivaient :
Une femme
Milliers de pages noircies
Pourtant tu ne savais pas encore
Regarder ta mère dans les yeux
Ni le soleil du lendemain dans la lune du soir
Pauvre cloche
Bambin impudique qui ne pensait pas assez à décevoir des attentes
Il faut décevoir
Ça s’apprend et puis
Quand on sait
On sait
Caste des touristes ta caste pauvre cloche faisant la courte échelle à leur propre bêtise
Se hissant sur les hauteurs d’eux-mêmes
Pour flasher l’existence à cinquante mètres
Dans leurs nasses rougeoyantes
Braises au front les yeux plein d’huile
Lampions de chair
Tu les regardais
S’allumer
S’éteindre
Toi le plus obscène
Dans la foule
Tu grimpais plus haut
Jusqu’à ce que tu croyais être
N’es pas encore
Ne seras peut-être jamais :
Un égaré
Organes rendus à l’espace qui les a assemblés
Les dispersera
La mort dans l’âme tu iras enfin
Forniquer avec la joie
Et vous serez fourbus
Tu étais souvent génial
Dieu qu’il était bon d’avoir une haute opinion de soi-même
Tu étais sorti de chez toi
Tu étais sorti
Faire un tour sur toi-même
Et d’un centimètre ou deux
Déplacer l’axe de ton être
Sortir
Quelle idée
Tu lançais au ciel tes bras bouffés par les insectes et la crasse
Pour battre le tambour des épiceries et des constellations !
Tu te postais à l’intersection des dieux et des commerces
Trente-trois millions de dieux trente-trois milliards de commerces présidaient au grand remue-ménage des bourses et des esprits
Notre intimité mondiale
Tous ces petits tours sur toi-même
Pour ne rien comprendre du monde
Tu ne voulais aller nulle part
Sisyphe décapité
Que roule ta tête
Et roule
Et roule encore
Tu étais là
Tu étais vraiment là
Tu ne te lassais pas de mourir aveugle
Et les ghâts à cinq heures ce matin prêtaient le flanc au brouillard
Et les barques étaient confites contre les rives
Les rameurs forclos
Tes mains gelées d’horizon mort
L’eau du cimetière à tes pieds
Le Gange
De ta jeunesse pilée tu n’avais qu’un goût vague
Qui te coupait la trachée
Amygdales mal soignées un peu de pus
Et tu pouvais juger autrui
Très mal à cause de l’amertume
Tu n’avais jamais vu pisser une vache
Tu n’avais vu mourir personne
En dehors de toi
Voilà
Sur les bûchers noircissaient les crânes
Bustes
Ventres
Sexes
Flammes dans les queues les cons fondus
Dépassaient souvent une jambe un avant-bas
Qu’on relançait au feu
Quand le reste volait
Poussière revenue à poussière
De certains bateaux montaient des beats technos qui pénétraient l’obscurité
Des gosses dansaient sur les rives mains sur les hanches garçons entre eux filles entre elles
La chanson posait à tous la même question refrain salaud :
Are you ready ?
Cent cloches sonnaient l’heure des temples et les prières entraient dans les bouches
La vie était folle la mort l’imitait
Les peaux rutilaient comme l’argent qu’on n’avait pas les dents sous la glaise étaient noires d’oubli
Qu’il était bon d’être là vraiment là
Et la lune là-haut brillait pour tout le monde
Sans rien demander sinon son dû de mort son dû de vie
Et une danse encore en plein bordel
Que l’on retranche à l’éternité son tape-à-l’œil sa longue traîne de ruines sa vacherie
Are you ready ?
Non je ne suis pas prêt
Il y eut la jeune femme au dupatta vert et le rire édenté de Jagdish Prasad Bajpaï
Un thé sur Lal Ghât et mille autres femmes avec l’argenterie ou le revolver
À l’assemblée des rêves présidaient des alliances de Charon vœux de soiffard repenti :
Non non et non
Le monde ne t’appartenait pas
Ce n’était pas chez toi
Sur Assi Ghât tu repensais à Miss Electricity
Dans les banquises dissoutes quelques os tirés du feu :
Un fémur
Une cage thoracique
Un taureau bleu au milieu des bûchers
Les vendeurs de bougies et les dormeurs les lavandières les Coréens les Anglais les hippies les margoulins les loueurs de bateaux les cerfs-volants les joueurs d’échecs les adolescentes fluo les mamans au dos nu les raseurs les rasés les marchands de bois les cendres les dealers de manali de hasch et de marie-jeanne les sâdhus les paumés les trouvés les mages et les menteurs
Au fond du puits d’où jaillissaient les existences obliques
Un jour tu te demanderas qui a éteint la lumière
Et tu ne mordras plus dans les mangues
Tu étais là
Tu étais vraiment là
Jagdish Prasad Bajpaï
Je te demande pardon d’insister pour que ton nom passe dans mes phrases
Tu dois être mort aujourd’hui
Je me souviens de toi sur Lal Ghât
Nous avions parlé de la pendaison d’Hussein
Le thé était parfaitement sucré
Dans l’angle souverain de nos vies
Nous avions dévoré la parenthèse
Adieu Jagdish
Tu étais là
Tu étais vraiment là
Tu aurais aimé savoir : où est le pays nouveau ? Le pays de l’avenir provoqué ? Celui
de mon enfant ?
L’anti-patrie où l’on ne parle qu’entre minuit et minuit trente ?
Tu avais enchaîné l’espérance à tes poignets
Et pèlerin boiteux tu ne t’arrêtais plus pour brouter
Tu ne t’arrêtais pas non plus pour boire
Tu ne t’arrêtais plus rien ne t’arrêtait
Tu n’étais plus que ça : un homme qui parle à minuit
Tu marchais dans les jardins de Lodhi de longues heures
Tu pensais à Langston Hughes qui fut chasseur dans un club de la rue Fontaine clochard à Gênes plongeur à Pigalle correspondant de guerre
Il y avait cette phrase gravée dans le béton : It’s a white man’s world
La poésie ce truc de riche ce truc de retraité ce truc de mort-vivant
Tu en étais là
Non pas fidèle à un ami
Tu n’aurais pas le temps de creuser cette fidélité-là
Tu serais fidèle à un suspens de vie floue
Constant ô combien le temps nécessaire pour constater que ta respiration change
Quand tu arpentes les chambres incendiées
Où l’on s’insomnise de plein gré
Dans cette moisson d’ailleurs qui fabrique de l’amitié jetable
Amis jetés
Coupants comme la glace
Mourants en elle
Un jour tu te demanderas qui a éteint la lumière
En attendant
Tu es là
Tu es vraiment là
Ce n’est rien que le rien essentiel pour dire le mot rien
Porter son manteau comme un gouffre
Que le vent vienne y dissoudre ses directions
Je suis l’événement
Je suis le voyage à cru
Le bambin rachitique
Dont le premier cri paie tous les trains
Je suis ce cri
Qui dit le départ en disant la fin
Santé !
Crie ta santé
Mets le coup de pied dans les célibataires
Mets le coup de pied dans les couples
Mets le coup de pied dans les seuls
Coup de pied dans tes reflets
Tu es là
Vraiment là
Hématome au cul de tes vies
Tu cherches le degré zéro de l’avenir
Attends la fin de l’attente
Le point où l’horizon se travestit
En source
Dans le cercle des heures