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Max | Fabrice Melquiot

Publié le 29 novembre 2010 par Aragon

fabricemelquiot.jpgDans la jungle de la toile il y a un blogue, dans la jungle de notre temps il y a un type formidable, c'est Fabrice Melquiot, écrivain de théâtre, poète. Il est magnifiquement étoilé, vivante Vie...

http://www.fabricemelquiot.com/

extrait de son blogue...

Tu étais là

Parfois
Tu t’en allais régler ta montre à l’heure des fuites

Au bout du compte miauler déglutir

Mille aiguilles dans la main plantées

Si

Profondément

Que ton pouls crachotait des tic-tac

Tu espérais voir le monde depuis ta fenêtre

Emportant ta fenêtre avec toi et tes yeux de vitre infecte

Tu aimais entendre au fur de tes pas

Se briser le miroir de la

Jeunesse

Que tu piétinais de tes forces vaines

La lumière était lasse chaque fois que tu voulais en respirer les vapeurs

Tu étais là

Tu étais vraiment là

Couché dans le sillon mouillé des pays franchis

Sous des orages plus fidèles qu’un chien

Tu étais au monde

Au point de le savoir cet étranger dans le désert qui réclame l’eau de ta gourde

Que son chemin ne finisse pas dans sa soif

Le monde où tu allais écoper rires et douleurs

Te blottir contre des murs crépis

Remodeler souvent ton

Visage

Dans des voyages inachevables au bout desquels tu espérais

Gueuler : assez vu

Mais tu ne voyais jamais assez

Et tu t’endormais la nuque contre ton sac rempli de distance

Les nuits n’étaient jamais amicales tant mieux

Tu les préférais

Solides comme des coups de poing

Ce n’était pas chez toi jamais chez toi

Ce ne sera jamais chez toi ça n’existe pas : chez toi

Il n’y a pas

Il n’y aura pas

Il n’y avait pas depuis le début de toi

Pourtant

Tu étais là

Tu étais vraiment là

Les nuits crevaient dans les hauts quartiers de disparition

Tu espérais à travers les cloisons

Que fonde ton corps de briques avec son âme au centre

En guise de fenêtre

Et les singes qui jouaient à l’ouvrir à la fermer

Tu cherchais à traverser remailler l’espace entre les êtres et toi

Détoiler démembrer peut-être

Que flottent jusqu’au soleil bras jambes et gencives libres de pesanteur

Tu rêvais ces presque mânes en enfants brûlés d’Icare

Un soir au bord de la Yamunâ

Un milliard et cent trois millions de cœurs brouillés tordant le nid des thorax sur la berge avec la boue de petits bateaux de carton

Fichus

Qui coulent sitôt lancés qu’on nommait tendresse entre nous le soir un soir hier jamais

As-tu déjà été à ce point la somme dérisoire de tes membres ?

Déchirant assemblage de papier dans du feu ignorant l’imploration des monstres déboutés par le ciel éclopés mourant au pied de la mosquée Jama Masjid dans les chèvres et les commerçants

Comme ils se sentaient merdeux les hommes de s’être ratés de la sorte de s’être oublié une jambe de s’être oublié les pieds de s’être oublié les yeux une main gauche une clavicule

Et la peau n’était qu’un voile soudé aux chairs pour les cacher à mesure qu’elles se corrompaient rongées par la gangue et les gangrènes

Tes larmes ont doucement tari

Comme l’enfant rose et noire brouillon d’enfant

Se jouait de la théorie des atomes

Elle a passé dans la terre en est devenue parcelle sous tes yeux blancs : Centimètres carrés de ton sol rose et noir sur lequel

Tu marches

Et les singes ouvraient fermaient la fenêtre faisaient claquer

Tes contrevents

Quand tu regardais le mendiant

Tu ne voyais plus l’enfant ni le vieillard

Quand tu regardais l’enfant ou le vieillard

Tu ne voyais que le mendiant

Le jour

S’écaillait

Tu te demandais combien de fois peser les mots et si la même balance vaut pour la vie

Tu apercevais un au-delà pour la

Parole

La seule présence

Tu voulais dire : j’étais là j’étais vraiment là

Etait-ce déjà mourir ?

Tu allais sans corps ni fonction sans vraie nécessité – ne le cache pas –

À la mauvaise santé de ta conscience

Aux cénotaphes nombreux où l’homme ne dormait plus

À ces poignées de mains et de mots qui pouvaient bien crever

Tu trinquais

En passant tu révisais la liste des choses à être plus tard :

Une aiguille à chapeau

Une vache pas sacrée du tout rien qu’une vache

Etre une vache

Un panneau de signalisation

Un chien au soleil

Une chemise déchirée au coude

Un vieux pot de mayonnaise

Un collier de fleurs

Du grillage

Et enfin

La gorgée d’eau susceptible de tirer tout homme du désert

Sur les rives de la rivière Betwa

Les lavandières lâchaient leur tresse et se battaient

Avec les draps de lessive

Elles dressaient en même temps que leur buste

Nu

La liste des choses à ne plus être plus tard :

Elles écrivaient :

Une femme

Milliers de pages noircies

Pourtant tu ne savais pas encore

Regarder ta mère dans les yeux

Ni le soleil du lendemain dans la lune du soir

Pauvre cloche

Bambin impudique qui ne pensait pas assez à décevoir des attentes

Il faut décevoir

Ça s’apprend et puis

Quand on sait

On sait

Caste des touristes ta caste pauvre cloche faisant la courte échelle à leur propre bêtise

Se hissant sur les hauteurs d’eux-mêmes

Pour flasher l’existence à cinquante mètres

Dans leurs nasses rougeoyantes

Braises au front les yeux plein d’huile

Lampions de chair

Tu les regardais

S’allumer

S’éteindre

Toi le plus obscène

Dans la foule

Tu grimpais plus haut

Jusqu’à ce que tu croyais être

N’es pas encore

Ne seras peut-être jamais :

Un égaré

Organes rendus à l’espace qui les a assemblés

Les dispersera

La mort dans l’âme tu iras enfin

Forniquer avec la joie

Et vous serez fourbus

Tu étais souvent génial

Dieu qu’il était bon d’avoir une haute opinion de soi-même

Tu étais sorti de chez toi

Tu étais sorti

Faire un tour sur toi-même

Et d’un centimètre ou deux

Déplacer l’axe de ton être

Sortir

Quelle idée

Tu lançais au ciel tes bras bouffés par les insectes et la crasse

Pour battre le tambour des épiceries et des constellations !

Tu te postais à l’intersection des dieux et des commerces

Trente-trois millions de dieux trente-trois milliards de commerces présidaient au grand remue-ménage des bourses et des esprits

Notre intimité mondiale

Tous ces petits tours sur toi-même

Pour ne rien comprendre du monde

Tu ne voulais aller nulle part

Sisyphe décapité

Que roule ta tête

Et roule

Et roule encore

Tu étais là

Tu étais vraiment là

Tu ne te lassais pas de mourir aveugle

Et les ghâts à cinq heures ce matin prêtaient le flanc au brouillard

Et les barques étaient confites contre les rives

Les rameurs forclos

Tes mains gelées d’horizon mort

L’eau du cimetière à tes pieds

Le Gange

De ta jeunesse pilée tu n’avais qu’un goût vague

Qui te coupait la trachée

Amygdales mal soignées un peu de pus

Et tu pouvais juger autrui

Très mal à cause de l’amertume

Tu n’avais jamais vu pisser une vache

Tu n’avais vu mourir personne

En dehors de toi

Voilà

Sur les bûchers noircissaient les crânes

Bustes

Ventres

Sexes

Flammes dans les queues les cons fondus

Dépassaient souvent une jambe un avant-bas

Qu’on relançait au feu

Quand le reste volait

Poussière revenue à poussière

De certains bateaux montaient des beats technos qui pénétraient l’obscurité

Des gosses dansaient sur les rives mains sur les hanches garçons entre eux filles entre elles

La chanson posait à tous la même question refrain salaud :

Are you ready ?

Cent cloches sonnaient l’heure des temples et les prières entraient dans les bouches

La vie était folle la mort l’imitait

Les peaux rutilaient comme l’argent qu’on n’avait pas les dents sous la glaise étaient noires d’oubli

Qu’il était bon d’être là vraiment là

Et la lune là-haut brillait pour tout le monde

Sans rien demander sinon son dû de mort son dû de vie

Et une danse encore en plein bordel

Que l’on retranche à l’éternité son tape-à-l’œil sa longue traîne de ruines sa vacherie

Are you ready ?

Non je ne suis pas prêt

Il y eut la jeune femme au dupatta vert et le rire édenté de Jagdish Prasad Bajpaï

Un thé sur Lal Ghât et mille autres femmes avec l’argenterie ou le revolver

À l’assemblée des rêves présidaient des alliances de Charon vœux de soiffard repenti :

Non non et non

Le monde ne t’appartenait pas

Ce n’était pas chez toi

Sur Assi Ghât tu repensais à Miss Electricity

Dans les banquises dissoutes quelques os tirés du feu :

Un fémur

Une cage thoracique

Un taureau bleu au milieu des bûchers

Les vendeurs de bougies et les dormeurs les lavandières les Coréens les Anglais les hippies les margoulins les loueurs de bateaux les cerfs-volants les joueurs d’échecs les adolescentes fluo les mamans au dos nu les raseurs les rasés les marchands de bois les cendres les dealers de manali de hasch et de marie-jeanne les sâdhus les paumés les trouvés les mages et les menteurs

Au fond du puits d’où jaillissaient les existences obliques

Un jour tu te demanderas qui a éteint la lumière

Et tu ne mordras plus dans les mangues

Tu étais là

Tu étais vraiment là

Jagdish Prasad Bajpaï

Je te demande pardon d’insister pour que ton nom passe dans mes phrases

Tu dois être mort aujourd’hui

Je me souviens de toi sur Lal Ghât

Nous avions parlé de la pendaison d’Hussein

Le thé était parfaitement sucré

Dans l’angle souverain de nos vies

Nous avions dévoré la parenthèse

Adieu Jagdish

Tu étais là

Tu étais vraiment là

Tu aurais aimé savoir : où est le pays nouveau ? Le pays de l’avenir provoqué ? Celui
de mon enfant ?

L’anti-patrie où l’on ne parle qu’entre minuit et minuit trente ?

Tu avais enchaîné l’espérance à tes poignets

Et pèlerin boiteux tu ne t’arrêtais plus pour brouter

Tu ne t’arrêtais pas non plus pour boire

Tu ne t’arrêtais plus rien ne t’arrêtait

Tu n’étais plus que ça : un homme qui parle à minuit

Tu marchais dans les jardins de Lodhi de longues heures

Tu pensais à Langston Hughes qui fut chasseur dans un club de la rue Fontaine clochard à Gênes plongeur à Pigalle correspondant de guerre

Il y avait cette phrase gravée dans le béton  : It’s a white man’s world

La poésie ce truc de riche ce truc de retraité ce truc de mort-vivant

Tu en étais là

Non pas fidèle à un ami

Tu n’aurais pas le temps de creuser cette fidélité-là

Tu serais fidèle à un suspens de vie floue

Constant ô combien le temps nécessaire pour constater que ta respiration change

Quand tu arpentes les chambres incendiées

Où l’on s’insomnise de plein gré

Dans cette moisson d’ailleurs qui fabrique de l’amitié jetable

Amis jetés

Coupants comme la glace

Mourants en elle

Un jour tu te demanderas qui a éteint la lumière

En attendant

Tu es là

Tu es vraiment là

Ce n’est rien que le rien essentiel pour dire le mot rien

Porter son manteau comme un gouffre

Que le vent vienne y dissoudre ses directions

Je suis l’événement

Je suis le voyage à cru

Le bambin rachitique

Dont le premier cri paie tous les trains

Je suis ce cri

Qui dit le départ en disant la fin

Santé !

Crie ta santé

Mets le coup de pied dans les célibataires

Mets le coup de pied dans les couples

Mets le coup de pied dans les seuls

Coup de pied dans tes reflets

Tu es là

Vraiment là

Hématome au cul de tes vies

Tu cherches le degré zéro de l’avenir

Attends la fin de l’attente

Le point où l’horizon se travestit

En source

Dans le cercle des heures


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