Un pessimiste rencontre un optimiste. « Tout va mal, se lamente le pessimiste, ça ne pourrait pas être pire !». Et l’optimiste de répondre : « Mais si, mais si…. »
Lequel est le plus inquiétant des deux ?
Que le pire ne soit jamais sûr, ou presque jamais, c’est ce qui semble donner raison à l’optimiste. Mais qu’il soit toujours possible, même quand tout va bien, c’est ce qui donne raison, presque inévitablement, au pessimiste. On pense au Dr Knock de Jules Romains : « La santé est un état précaire, qui ne présage rien de bon. » Toutes ces maladies qui nous menacent, comment ne finiraient-elles pas par nous atteindre ou par atteindre nos proches ?
Et quand bien même échapperions nous aux plus graves, comment échapperions nous à la vieillesse et à la mort ?
« Soit, rétorquera l’optimiste, mais il y a aussi la santé, les progrès de la médecine, l’allongement de la durée de la vie, nos enfants ou nos petits-enfants qui nous survivront….
- Donc qui mourront à leur tour, qui souffriront à leur tour !
Relisez l’Ecclésiaste : « Plus de conscience, plus de douleur ». Relisez Bouddha : « Toute vie est souffrance ».
Ce dialogue est sans fin, et chacun le tient aussi avec soi-même. Mais qu’il se prolonge indéfiniment est plutôt un argument, là encore, en faveur du pessimiste. Il y a toujours à craindre ou à se lamenter. Notre besoin de sécurité est impossible à rassasier.
Cela me fait penser à une devinette, qui nous vient d’Europe Centrale :
« Sais tu quelle différence il y a entre un optimiste et un pessimiste ?
- ?…
- Le pessimiste est un optimiste bien informé. »
Boutade de pessimiste, qui nous amuse pour cela. Le pessimisme fait cercle, et nous enferme. Les pessimistes auraient toujours raison ; Les optimistes manqueraient de lucidité ou d’imagination.
On échappe à ce piège qu’en refusant ce face à face. On a pour cela d’excellentes raisons.
La première, c’est que le pessimisme est une tristesse, qui finirait par nous décourager de vivre. Or c’est la joie qui est bonne, c’est le courage qui est nécessaire.
La seconde, c’est que pessimisme et optimisme doivent moins aux idées qu’au tempérament, moins au jugement qu’aux humeurs.
A quoi bon multiplier les arguments, si c’est pour rester prisonnier de ce qu’on est ? Mieux vaut apprendre à se connaître, à s’accepter, à se corriger si l’on peut. Les optimistes ont bien de la chance. Les pessimistes, bien du travail. Que les premiers n’oublient pas d’être prudents, ni les seconds d’aimer la vie.
Enfin, pessimisme et optimisme ne s’opposent vraiment que sur ce qui ne dépend pas de nous, comme disaient les stoïciens, et mieux vaut consacrer ses efforts à ce qui en dépend. Espérer ? Craindre ? Question de caractère ou de circonstances. L’action est plus libre et plus nécessaire.
« Le pessimisme est d’humeur, disait Alain, l’optimisme est de volonté : tout homme qui se laisse aller est triste. » Parole de pessimiste, là encore, mais tonique, et qui devient optimiste à force de le vouloir. Il suffit de se laisser aller, du moins pour ceux qui sont de tempérament mélancolique ou anxieux, j’en sais quelque chose, pour que tout aille mal ou semble aller vers le pire.
Le remède, pour cela, est moins la pensée que le réel.
Soucie-toi un peu moins de ce que tu regrettes ou crains, un peu plus de ce que tu as à faire – ou plutôt cesse de t’en soucier, et fais le ! D’abord cela occupe l’esprit, qui en devient moins anxieux ; Ensuite cela réconforte, parfois par le succès, toujours par la puissance exercée et une certaine revalorisation, au moins, de soi-même. Tout homme qui se laisse aller est triste. Tout homme qui agit l’est moins.
Que conclure ? Que pessimisme et optimisme ne sont que deux pôles, comme dans un champs magnétique, entre lesquels chacun fluctue au gré de son tempérament ou de sa chance, mais qui ne sont vraiment utiles qu’ensemble, ce qui suppose qu’on ne reste prisonnier d’aucun des deux.
C’est Gramsci peut-être, intellectuel et homme d’action, qui a trouvé la formule la plus juste : « Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté. »
On est jamais trop lucide, et mieux vaut, dans le doute, noircir le tableau au moins intellectuellement, que l’enjoliver : cela évitera imprudences et désillusions.
Mais on n’est jamais trop volontaire, jamais trop actif, jamais trop résolu. Mieux vaut agir qu’espérer ou trembler. C’est la sagesse des stoïciens, ou plutôt c’est ce qu’il y a de stoïcien en toute sagesse.
Consacre tous tes soins à l’action présente, disait à peu près Marc Aurèle ; Laisse le reste au hasard ou aux dieux.
Extrait de "Le Goût de vivre et cent autres propos", André Comte-Sponville, Ed. Albin Michel
Photo de Graphipat