En ces mornes journées pré-hivernales, il n’est pas étonnant qu’il vous entraîne dans un univers méconnu, celui de l’importance du combat, un combat digne. Il a roulé sa bosse de l’Afrique où il est originaire, jusqu’en France. Son impact dans la cité qui doit tout à la Traite Négrière-Bordeaux-, ne peut se mesurer.
D’ailleurs l’élite locale ne lui pardonne toujours pas d’avoir osé se mesurer à elle aux élections municipales avec 4% des suffrages dans la ville de l’ancien Premier Ministre et Maire, Alain Juppé.
Initiateur de DiverCités, « la Fondation européenne du mémorial de la Traite des noirs », dont le Président d’honneur est Patrick Chamoiseau l’écrivain martiniquais, « le Nègre de Bordeaux » comme on l’appelle a été à l’origine de plusieurs campagnes dont le retentissement s’est fait sentir bien au-delà des rives de la Garonne :
- Reconnaissance du passé négrier de Bordeaux
- Campagne pour faire déclarer la traite des noirs crime contre l’humanité avec une première Loi sénégalaise.
- Initiative d’un Mémorial de la Traite des Noirs en France
- et enfin la Campagne pour débaptiser les rues de négriers
Son intense lobbying a ainsi permis à l’Afrique de sortir de l’oubli grâce à la première loi africaine déclarant la traite des noirs crime contre l’humanité votée par le Sénégal sous l’impulsion du Président Abdoulaye Wade.
Après 12 ans de combat, l’Association DiversCités a mis la clé sous le paillasson, volontairement. Aujourd’hui, Karfa Diallo s’occupe d’autres choses, notamment de littérature. Il a mis sur pied, « la Fondation Mémoires et Partages » et publie « Matins noirs », un essai poétique pour une nouvelle négritude aux Editions ExAequo. Nous lui avons posé quelques questions.
-AJ: Bonjour Karfa
-Karfa…..Bonjour Allain Jules
AJ: Après 12 ans de militantisme actif, qu’est-ce qui vous fait encore courir ?
-Karfa….La fidélité à une histoire qui nous hante mais dont on s’éloigne trop facilement. De peur de découvrir ce qui en nous a permis cette horreur. Une mémoire maltraitée, mal dite, maudite. C’est la conviction que pour installer la paix, l’intégration et le développement nous avons besoin de toutes les mémoires. La mémoire est le socle de l’égalité, de la liberté et de la fraternité. En intégrant dans le dialogue toutes les mémoires dans nos références nous formons des citoyens plus éveillés et plus vigilants. Et pour cela il y a aujourd’hui quatre combats qui me tiennent à cœur : militer pour un véritable Lieu de Mémoire dédié à la traite des noirs et à l’esclavage en France, œuvrer pour une reconnaissance par tous les Etats de ce crime contre l’Humanité, combattre toutes formes d’esclavage contemporain et initier des actions de fraternité envers des populations en Afrique et dans les Caraïbes.
-AJ: Laissez-vous choir le combat ou simplement, avez-vous l’intention de livrer d’autres luttes ?
-Karfa…Je crois qu’il est autant important pour les organisations que pour les individus de renouveler leur regard, de se remettre en cause. Pour voir la réalité nous avons besoin de nous délester. De déposer les œillères qui nous accompagnaient. Il s’agissait pour nous de tirer les conséquences d’un combat dont nous pouvons tirer quelque satisfaction. Bordeaux est sorti définitivement de l’amnésie en inaugurant en grande pompe les salles du Musée d’Aquitaine consacrées à la traite des noirs. Nous avons réussi à rendre dynamique cette mémoire en actualisant certaines thématiques : la reconnaissance juridique et la question des noms de rues. En plus de l’épuisement prévisible pour une organisation aux moyens limités, DiversCités nous a semblé nous enfermer sur une posture polémique qui ne correspond pas à notre démarche. Le passage par la politique, tout en étant un formidable accélérateur de la prise de conscience, a aussi entretenu la confusion et la méfiance quant à notre véritable projet. Le travail de publication à travers la Revue Triangle doré et le projet de l’Ecole des Mémoires n’arrivaient pas suffisamment à être perçu.
C’est pourquoi j’ai décidé de créer Mémoires et Partages qui devrait valoriser ces initiatives et s’ouvrir à d’autres problématiques comme l’esclavage moderne et la solidarité internationale.
-AJ : Certains esprits chagrins estiment que vous cherchez à vous repositionner. Votre combat vous a-t-il rangé du côté des « radicaux » selon la formule consacrée ?
-Karfa….Il est facile de caricaturer une action. Surtout sur un sujet aussi dérangeant dont personne ne sort indemne. Nous avons participé à toutes les initiatives politiques de reconnaissance tant qu’elles ne s’assimilaient pas à de la récupération ou du noyautage. Nous avons eu des parrainages d’horizons très divers : Françoise Vergés, Noel Mamère, Christiane Taubira, Calixthe Beyala, Dogad Dogui, Patrick Karam mais aussi Rony Brauman et Jacques Attali, entre autres. Et je crois que les bordelais qui nous soutiennent depuis douze ans ne s’y sont pas trompés. Et les Etats africains avec qui nous travaillons mais aussi européens comme l’Espagne et le Danemark sont l’illustration d’une démarche ouverte, empathique mas résolue à ne pas laisser sombrer dans l’oubli ce crime originel.
-AJ: Pouvez-vous nous parler de « Matins Noirs » ?
-Karfa…….Matins noirs est un acte de mémoire. Un acte de fidélité. J’ai choisi de le dénommer « essai poétique pour une nouvelle négritude » car il me semble que la négritude est atemporelle. Elle revient toujours malgré tout ce que l’on peut faire pour s’en éloigner. Regardez l’ex-Ministre d’Etat Rama Yade à propos du « Discours de Dakar » : « Que voulez vous ? Que je saute sur la tribune pour gifler le Président de la République ? ». C’est un vrai cri nègre qu’exprime là cette jeune femme politique talentueuse pour qui j’ai beaucoup d’admiration. Bien sur, il faut se garder de toute l’ambiance romantique et idyllique de ses débuts mais il s’agit d’un nouveau repère, un nouveau regard. Une sensibilité nouvelle pour affronter les défis de la modernité. Dans « Matins noirs », la poésie a cette exigence. L’inscription dans le tissu d’une mémoire collective, celle de l’événement fondateur de l’histoire des Africains: la déportation, l’esclavage, la discrimination. En me regardant dans le miroir, en remuant le couteau dans les plaies que l’histoire m’a ouverte, plaies que j’ai découvert dans le fil de mon engagement, j’ai laissé venir cette salve. Ce long poème : expression vivante d’une histoire forclose, ici vivifiée, sans cesse réactualisée. C’est un affrontement, une lutte à mort face à une réalité que l’on ne peut vaincre. Afin d’éviter qu’elle nous écrase, l’écriture, la poésie, comme une aube ressurgissant dans la pénombre.
Nous aurons toujours besoin d’une nouvelle négritude. Dans l’au-delà de la couleur.
-AJ: merci.