Photo de Uppsala, site visoterra.com
Méfions-nous de ces profondeurs dont les abysses nous aimantent, nous aspirent, dans une fascinante plongée ténébreuse ; vide auréolé de brillance blafarde.
L’ombre s’étale de toute sa densité sur l’être : aucune parcelle de vie ne subsistera ; lorsque je place mon visage devant le miroir, nul reflet ne m’est renvoyé : il est opaque ; je suis opaque ; nous nous sommes assimilés.
Alors, j’erre. Cherche. A tâtons.
La volonté me conduit. Le désespoir me tire par les pieds.
Le glaive du Prince me pourfend sans relâche : le combat est inégal, je ne suis construite que de terre.
Le choix n’est pas toujours de notre ressort : ce glaive s’abat avec la régularité du métronome, au gré des hasards de l’existence.
La volonté me conduit. Le désespoir me tire par les pieds.
Combien de fois mon âme devra-t-elle mourir ?
La mort n’est pas nécessairement physique : la souffrance de l’âme au degré ultime est telle, que nous pensons que le corps ne pourra résister à de telles épreuves subies par celle-ci, qu’il s’écroulera d’une crise cardiaque.
Il s’ensuit le cloisonnement de l’âme dans sa douleur, engendrant, sans même s’en apercevoir, le rejet de l’amour et son incapacité à tendre vers lui.
La mort de l’âme c’est l’absence d’amour.
Je marche sur le fil, les bras horizontaux ; l’équilibre précaire de tomber dans l’obscurité ou la clarté, épuise.
Ces années de marche éprouvantes usent ma volonté ; elle faiblit, se laisse envahir par la souffrance qu’elle ne maîtrise plus. Les jours et les nuits se confondent.
Je tombe et je me relève. Sans relâche.
Si je me fortifie extérieurement, la lutte intérieure, incessante, finira par avoir raison de moi.
Mon ensemble se réduit à une âme rampante, face contre terre, dans l’incapacité à soulever les paupières vers la vie.
(Me l’ôter ne m’effleure même pas : une tentative aura suffi pour mesurer son extraordinaire beauté et de regretter, aussitôt, à l’instant même où le geste sectionne la tige de la fleur, de l’avoir quittée. L’effroi engendré par cette prise de conscience fulgurante entraîne une panique totale de l’être qui se voit filer par dehors de lui. Ce regret, cet infini regret d’avoir mis fin à soi, se traduit, instantanément, par une demande de pardon. Par un pardon qui tout au long des ans fera prendre la mesure de la grâce d’être en vie et de l’avoir reçue).
Si le corps survit, les alternatives proposées à l’âme sont peu nombreuses : elle coulera soit dans la folie, la souffrance devenant insurmontable, soit mourra avec son corps ne supportant plus cette tension intérieure.
Même si le goût de la vie domine, la volonté, parfois, ne suffit plus à s’y maintenir. Certaines souffrances sont indomptables et étouffent tout sur leur passage.
C’est alors, alors seulement, lorsque allongée, incapable d’exercer la moindre volonté et de sublimer la moindre douleur, mais avec encore cette dernière force, celle de tendre vers la vie, que l’abandon se profile.
C’est en étant réduit à rien, c’est en étant devenu désespoir absolu, que le cœur cloisonné depuis de si longues années, décide de s’ouvrir à l’amour. Il ne sent pas l’amour, ce cœur. Il sait seulement que sa dernière chance se situe dans cette perspective.
Péniblement, dépouillé de toute volonté et de toute fierté, dépouillé de tout, il s’oriente, ce cœur.
Sans ressource aucune, consciente de mon état misérable et de mon effondrement, dans un pari insensé, je dirige alors mon âme vers le Seigneur et mue par un dernier souffle intérieur, je lui murmure de ne pas m’abandonner.
Je ne Lui dit rien, je n’oserais même pas ; d’ailleurs je n’en ai ni la force, ni ne sait comment faire.
La seule attitude dont je me sens encore capable, est celle de l’accueil jusqu’au bout de l’âme.
L’orgueil brisé, la fierté démantelée, l’intelligence noyée par la souffrance, je suis au bord de la rupture avec la vie.
Cette décision finale, celle de placer mon cœur aux pieds de Dieu, dans un abandon et une confiance totale, sera le début de ma rencontre avec le Christ.
Or l’ombre ne peut exister sans la présence de la lumière.
Savina.