Martha

Publié le 01 décembre 2010 par Banalalban

Tu vois cette vieille dame... et bien cette veille dame ne se définit en rien comme "vieille dame"... j'entends par là qu'elle se sait "vieille dame" mais ne se définit en rien comme "vieille dame" dans la charge de sens que l'on pourrait faire dans ce "vieille dame"... elle, elle se définit par son simple prénom. Prenons "Martha"...  j'entends : faisons l'hypothèse qu'elle se nomme "Martha"... "Martha", lorsqu'elle se regarde dans le miroir le matin, elle se dit juste "tiens, te voilà, toi, Martha, à cette place très précise qui est la place devant ton miroir" ou bien "Te voilà toi Martha...".

Toi et moi, nous l'avons tout d'abord définie comme "la vieille dame" mais seulement qu'ensuite comme "Martha"... et encore, parce que je l'ai voulu... nous l'avons d'abord jugé dans un sens objectif alors qu'elle est personne. Je veux dire "personne" dans le sens vivante, vibrante, vibrionnante, pas "personne" dans le sens "rien". Je dis : "Toi et moi l'avons réduite comme on réduirait une sauce".

Nous l'avons réduit à ce personnage des films de Kieslowski, tu sais, cette vieille dame qui revient toujours et qui jette ses bouteilles en verre dans un récupérateur de verre.

"Martha" parfois se dit devant le miroir : "Tiens, je suis Martha et je suis une vieille dame" ou bien plus simplement "Je suis une vieille dame", mais avant tout, elle est "Martha". Elle ne compte pas les jours qu'elle a laissés derrière elle et qui la définissent comme une "vieille dame", non, elle se dit juste qu'elle est une "vieille dame" parce qu'à l'instant même où elle se regarde dans le miroir elle voit qu'elle l'est. Parfois dans le miroir, elle ne voit pas ça : elle se regarde et se dit : "Je vais attacher mes cheveux en arrière parce que ça fait plus joli" ou bien plus simplement: "Je vais attacher mes cheveux en arrière". 

Mais toi et moi, toi et moi j'entends dans le sens "toi" indépendant de "moi" et "toi" dépendant de "moi", nous croisons "Martha", nous ne savons pas qu'elle est "Martha" et nous nous disons juste : "Tiens, tu vois cette vieille dame", et "Martha" ne sait pas que nous la jugeons de cette sotte sorte.

Toi et moi n'avons jamais voulu la juger ou bien la réduire à ce simple "vieille dame" mais c'est tout bêtement que "Martha" est une "vieille dame" et que tout aussi bêtement nous ne nous contentons que de la deuxième partie de l'information. Toi et moi occultons la première.

Et Martha ne jette pas ses bouteilles en verre dans un récupérateur de verre. Non. Martha elle n'a qu'une seule poubelle chez elle et ne recycle rien. Elle ne s'encombre pas.

Tu vois, là, "Martha" vient de faire tomber son ticket de bus par terre et le ramasse et nous nous disons juste "tiens, la vieille dame vient de faire tomber son ticket de bus par terre et le ramasse" en oubliant que "Martha" est "Martha" et qu'il lui arrive souvent devant son miroir, d'attacher ses cheveux en arrière parce que ça fait plus joli. Parce que de manière certaine, nous ne savons rien de "Martha". Ce n'est pas parce que nous ne nous y intéressons pas. Non. Mais plutôt que nous ne pouvons pas en savoir plus.

Si on en savait plus toi et moi sur les gens qui nous entoure, nous exploserions d'engranger tant d'informations.

Toi et moi ne sommes pas mauvais.

Nous ne sommes qu'humains et nous ne pouvons pas tout savoir des "Marthas" qui passent et attendent le bus. Il y aurait trop d'idées. Ne nous sentons pas coupables. 

De n'avoir des gens qu'un bref aperçu.

Regardons simplement "Martha" prendre son bus et continuons à nous dire, toi et moi, qu'une vieille dame vient très prosaïquement de prendre son bus et passons à autre chose.

Ce grand chauve par exemple qui regarde sa montre...