Oscar Wilde, côté tragique.
C’est un livre immédiatement captivant que Les aventuriers de l'absolu, dernier ouvrage paru de Tzvetan Todorov, consacré à trois écrivains qu’il aborde, plutôt que par leurs œuvres respectives : par le biais plus personel, voire intime, de leur engagement existentiel et de leur vie plus ou moins fracassée. La recherche de la beauté, dans le sens où l’entendaient un Dostoïevski ou un Baudelaire, liée à une quête artistique ou spirituelle, et aboutissant à un certain accomplissement de la personne, caractérise à divers égards ces pèlerins de l’absolu que furent Oscar Wilde, Rainer Maria Rilke et la poétesse russe Marina Tsvetaeva. En dépit du caractère exceptionnel de leurs destinées, ils ont des choses à nous dire: du moins est-ce le pari de Todorov de nous le montrer au fil de ce qu'il appelle tantôt enquête et tantôt roman...
L’approche d’Oscar Wilde en son oevre et plus encore en sa vie est particulièrement appropriée, à l’évidence, pour distinguer les valeurs respectives d’un esthétisme de façade et d’une autre forme de beauté atteinte au tréfonds de l’humiliation, dont le bouleversant De profundis, écrit par Wilde en prison, illustre la tragique profondeur. D'emblée, Tzvetan Todorov s’interroge sur la stérilité littéraire dans laquelle est tombée l’écrivain après sa libération, en montrant à la fois, à travers ses écrits intimes et sa correspondance, comment l’homme blessé, déchu, vilipendé par tous et abandonné de ses anciens laudateurs (dont un Gide qui n’accepte de le revoir que pour lui faire la leçon), accède à une autre sorte de beauté et de grandeur, invisible de tous mais non moins réelle, comparable à la beauté et à la grandeur du dernier Rimbaud en ses lettres.
Sans misérabilisme, mais avec une attention fraternelle qui nous rapproche de ce qu’on pourrait dire le Wilde « essentiel », cuit au feu de la douleur, Tzvetan Todorov échappe à la fois au piège consistant à célébrer Wilde le magnifique et à considérer sa déchéance comme une anecdote corsée ajoutant à son aura, ou à déplorer sa mort littéraire sans considérer trop sérieusement ce qu'il a atteint au bout de sa nuit.
Tzvetan Todorov. Les Aventuriers de l'absolu. Robert Laffont, 2007.