Paris carnet de la patience 20
Je sors du couvent, je traverse la rue du Faubourg Saint-Martin, je regarde à gauche un peu intensément et je vois la rue s’approfondir jusqu’au centre de la ville. Je crois même qu’on voit la tour Saint-Jacques. J’ai lu quelque part que cet axe est l’un des plus anciens de Paris. C’était une voie romaine.
Le soir, en rentrant, je traverse la rue à nouveau et cette fois je regarde à droite. Il n’est pas facile de décrire ce qui se ramasse en cet instant: la rue profonde, la perspective, les cannelures des façades non pareilles et pourtant solidaires, les teintes blanchâtres, grises et noires, et là-dessus des clignotements sans cadence, mais reliés mystérieusement en cette brièveté, rouges, orange, ou d’un bleu qui foudroie si la police ou l’ambulance est là, se frayant un passage dans le trafic. Certaines ouvertures, certaines constructions font repère: le carrefour Magenta, la mairie du Xe, la porte Saint-Martin surtout, qui est bien romaine, elle aussi, puisque c’est un arc de triomphe. Elle se trouve à mi-chemin de l’horizon. C’est elle qui organise le visible, qui ponctue cet élan quotidien vers la ville, c’est elle qui est la ville. Il y a des théâtres, là-bas. Un peu avant la porte, il y a Le Splendid (Coluche, Miou-Miou, Depardieu). Au XIXe siècle, il y avait un théâtre populaire que les grands travaux d’Haussmann ont détruit. Les lumières du soir, et mes pensées à l’instant du regard, sont toujours théâtrales.
La rue est une rue, pas un boulevard, ni une venelle. Quand on l’emprunte jusqu’à Beaubourg, elle rétrécit peu à peu, ce qui permet d’éprouver son ancienneté progressive.
par Filippo