Arrête, arrête ça Benjamin… arrête d’insister, arrête de me toucher, arrête tes ambiguïtés de merde… Qu’est ce que tu veux que je fasse de plus, hein ? Tu me fais du mal, me coupe le cerveau… Je te mange déjà dans la main, je t’ai servi mon âme sur un plateau d’argent, avec les haricots verts et les patates tout autour et tu n’as pas voulu de moi, je t’ai cédé tout ce que je pouvais donner, j’ai témoigné de tout ce que je savais, partagé tout ce dont je pouvais encore offrir… tout ce dont j’étais capable, comme un bon vin dont on sait d’avance qu’il est de qualité, je te l’ai donné… je n’ai rien de plus… tu t’es abreuvé de mon talent, goulûment, de ce que j’avais dans le ventre, là, au-delà des viscères et tu n’en as pas voulu. Je ne te donne plus le droit de jouer avec tout ça, de me planter à cœur la fourchette de ton indécision. Je n’ai plus de sève pour saigner : la saucière est vidée. Tu ne sais pas ce que tu perds, moi je le sais. Je nous perds nous, à grand renfort de douleur. J’ai mal de te jeter ainsi, mais c’est comme ça. Faut bien arrêter quelque part le festin, et c’est ici, maintenant, dans l’instant. Je n’ai pas ta maturité face aux délectations du banquet, je n’ai pas ce courage qui consisterait à te croiser constamment au buffet sans avoir mal. Je n’ai pas grand appétit, je n’en ai jamais eu : j’ai déjà festoyé avant, plus que de raison et j’ai perdu le goût des repas qui s’éternisent… peut-être que tu comprendras, qu’il fallait que je quitte la table car à force de te suivre comme ça, j’ai les papilles en loques et l’âme avortée. Je n’ai plus rien à te donner d’autre et ce que je t’ai offert, il faut que je le tue, que je détruise les miettes, en fasse du pain perdu… pas perdu pour tout le monde et qu’il n’en reste rien. Je veux que tu m’en veuilles, je veux qu’on souffre un peu, je veux que tu me détestes comme moi j’apprendrai à le faire. Mais je veux arrêter ce grand repas dont tu te repais sur moi… Je suis un fruit gâté, je n’ai plus à rien à céder sur ton palais, plus de saveur à dispenser. À peine un peu d'acidité... Le festin est fini : tu y as bien mangé, mais il ne sert plus à rien de tirer la gueule quand vient le dessert parce que l’on sait que le repas est terminé, juste partager l’addition pour être équitable et remettre l’endroit en l’état. Restera peut-être un peu de nos odeurs dans la grande salle, et l’on se rappellera de ce repas comme d’un mauvais dîner : le restaurant était sympa, la déco prometteuse mais les mets laissaient au final un goût banal en bouche. Fin de l’histoire. Pas d’étoiles au fronton, que des larmes dans le fond.