De l'apprentissage du dessin 3

Publié le 07 décembre 2010 par Headless

Des erreurs ou travers observés chez les apprentis dessinateurs 

Enseigner le dessin permet de voir des freins récurrents, des difficultés qui se posent à un grand nombre et que j'observe dans les travaux de mes étudiants. Je vais essayer de les dénombrer.

Dessiner une même chose avec deux échelles différentes.

Travers assez classique puisque l'oeil va du réel au papier et certaines fois l'observation peut être juste au niveau de la partie mais pas de l'ensemble. par exemple on commence par faire un visage à une certaine échelle puis le torse à une autre. C'est le collage des deux qui crée un effet bizarre. Giacometti a dit comment il lui était difficile de fixer une réalité qui à la fois s'éloignait ou se rapprochait de son oeil. Il faut être capable dans ces allers-retours de recomposer, synthétiser, corriger au fur et à mesure que le dessin "monte".

Je crois qu'il faut être attentif à la réalité jusqu'à un certain point mais aussi à un moment donné dépasser cette problématique pour trouver une cohérence interne au dessin lui-même. Bref, il faut regarder son modèle mais aussi le dessin se faire peu à peu. Est-ce que ça tient debout en tant que dessin? C'est plus important que la fidélité photographique. On n'est pas des machines.

Tuer le trait.

Souvent, à force de peur et d'hésitations, on revient trop sur le trait et on l'alourdit par trop de reprises. On lit cette retenue dans le résultat final. Certes il est difficile d'attaquer le papier de façon volontaire, sans peur de rater. Il faut faire ses gammes jusqu'à prendre confiance.

Autre aspect : sur un premier trait jeté qui a sa propre force, on veut repasser dessus. Bien souvent cela amoindrit l'énergie première de ce trait, soit en le masquant, soit en le dédoublant. Faire cela est en quelque sorte une façon de nier la première intention et la recouvrir. C'est un peu le dilemme qui se pose quand on doit encrer (notamment en bande dessinée) et certains perdent après cette étape une fraicheur initiale.

Dernière remarque : on est souvent confronté au début à un excès de zèle. On veut trop bien faire, pensant que cela passe par du quantitatif, des détails, etc. Et, sur une base intéressante, tonique, on finit par trop recouvrir et "charger." Combien de fois en passant parmi les tables je vois des choses très énergiques et spontanées et au tour d'après - trop tard- cet état là a disparu, trop recouvert par des"finitions" inutiles. Il faut savoir s'arrêter. Ce n'est pas évident car il y a souvent une peur du vide, on veut finir, remplir. Et puis on se dit : mais si je ne rajoute pas plus de choses ça fera pas fini. Je lutte beaucoup contre cette fausse idée et le travail consiste à faire percevoir à chacun le moment du "stop, ça suffit, il est inutile d'en faire plus". C'est d'ailleurs une problématique et une intuition du timing qui reste au coeur de la pratique du dessinateur, quel que soit le niveau ou l'âge.

Ne pas trop additionner d'effets 

Chaque dessin doit avoir une logique interne dans sa conception et qui créera une unité au final. Bien souvent, en débutant on tâtonne et s'essaie à plusieurs choses (ce qui est une très bonne chose en soi). Mais cumuler des effets différents au sein d'un même dessin amène des effets parasites ou des surcharges. Par exemple, si pour ombrer, on retrouve deux ou trois types différents de hachures, ça ne co-existe pas toujours de façon heureuse. C'est qu'il faut comprendre peu à peu que chaque trait à un sens, chaque ligne, hachure une raison d'être. Il faut se concentrer sur une logique donnée et l'amener jusqu'à son terme.

Ce qui explique ce défaut c'est sans doute aussi qu'on peut au début trop focaliser sur des signes extérieurs du dessin (techniques, styles...) alors que ces éléments doivent trouver leur raison d'être dans l'observation ou le dessin lui-même et non pas être plaqué comme on rajoute une couleur ou une tapisserie pour égayer une pièce. Cela doit participer de la structure et de la construction même du dessin, non pas de l'habillage ou du remplissage. Ce point acquis pour la plupart reste quand même un facteur subtil. Entre nécessité et artifices, essence et remplissage. Je crois même qu'on peut affiner la question toute sa vie de dessinateur : quel sens je donne à ce trait posé sur la feuille? Cette ligne a-t-elle sa raison d'être ou est-ce du tape-à-l'oeil? On rentre alors au coeur du dessin : l'intelligence du voir et la retranscription d'une émotion juste.