C’est drôle de recevoir les newsletters des journaux culturels un 8 décembre. Celle de l’Express culture par exemple. Trois décennies après l’assassinat de John Lennon, on le célèbre « de Liverpool à Tokyo », chacun y va de son petit hommage. Le plus drôle c’est que ce sont rarement des musiciens qui l’ont connu qui s’expriment. Si vous vous appelez Clint Eastwood (Clint je t’adore mais bon voilà quoi), vous avez le droit de donner votre avis sur l’ex-Beatle. Si vous vous appelez Lou Reed, vous avez un peu plus de légitimité, et vous aussi, vous vous fendez d’un petit paragraphe qui met la larme à l’oeil et qui vous rappelle votre jeunesse. Quand vous êtes un obscur romancier français, vous aussi, vous avez le droit de donner votre avis. Et les journaux de conclure démagogiquement en proposant à leurs internautes : « vous aussi, racontez votre souvenir sur John Lennon ».
Alors je ne suis pas Clint Eastwood, ni Lou Reed, ni un romancier français connu à Saint-Germain-des-Prés. Je ne suis qu’un vulgaire plumitif amatrice d’art (je ne sais pas si ça se met au féminin, « plumitif »). Mais j’ai bien envie d’y aller de mon petit mot sur Johnny.
Les Beatles, ça a d’abord été les albums rouge et bleu, quand j’avais 14 ans. Puis les bio, puis les dessins (si si). Puis le film « Imagine ». Puis très vite, « Woman », « Jealous Guy » et « Imagine » au piano. Plus tard, le White Album, les copains de lycée qui kiffaient les chansons tristes et trash de John, et l’envie de faire « John Lennon » plus tard, parce que : « Aahh John Lennon il est trop bien, il a contribué à la paix dans le monde. »
Voilà, c’était mon souvenir, version « spécial 30 ans de la mort de John ».
Perso, je n’attends pas le 8 décembre pour aimer John Lennon, me souvenir que c’était un fantastique musicien, et un sale type. Le genre à taper les filles (il l’a avoué lui-même). Le genre à foutre en l’air son groupe et sa bande de potes à cause d’une gonzesse. Le genre à pondre des chansons mythiques sur un coin de table, le genre assez mégalo pour planter un Steinway blanc dans son salon (possédé aujourd’hui par George Michael). C’était un type qui insultait ses anciens bandmates par chansons interposées (« How do you sleep »), était mal dans sa peau, s’est fait avoir par un yogi de bazar, a réussi à exister en dehors des Beatles, et a eu une mort très conne qui l’a rendu immortel. Bref, c’était un type complexe, et attirant (mais le pauvre, quelle postérité : se trouver un avatar en Liam Gallagher !)
Le bon temps de la paix et de l'amour...
Plus sérieusement, aujourd’hui sort un film sur le Nowhere Man, savamment intitulé Nowhere Boy. Je me demande qui ira voir ce biopic de facture classique (d’après la bande-annonce du moins), hormis les baby-boomers nostalgiques. Sans doute les petits bobos à frange, qui l’hiver dernier s’étaient déjà agglutinés pour aller voir une autre idole aujourd’hui fashion, Gainsbourg. Peut-être aussi que cela va permettre aux plus jeunes de découvrir un artiste. Mais que c’est agaçant cette façon de « remettre au goût du jour », avec des prétextes qui tombent à pic (un anniversaire à la con, etc.) des artistes géniaux qui tombent dans l’oubli dès que l’actu ne s’en mêle plus. Gainsbourg il y a 10 ans n’était pas à la mode. Marylin Monroe, avant l’anniversaire des 30 ans de sa mort, n’avait pas autant de coffrets DVD de ses films et même de ses chansons, et toutes les starlettes blondes n’essayaient pas d’imiter ses séances photos.
Le pauvre Johnny, dans sa dernière interview à RollingStone*, 3 jours avant sa mort, disait qu’il n’aurait « aucun intérêt à être un putain de héros mort. Et que les jeunes d’aujourd’hui (en 1980) voulaient des héros morts, des Sid Vicious et des James Dean« . Quid de la morbidité adolescente… En tout cas, la vie est une saloperie d’ironie.
Ceci dit… s’il avait vécu, John Lennon aurait 70 ans aujourd’hui. Ca fait bizarre. Alors peut-être qu’il n’est pas content, de là où il est, d’être un héros mort, mais peut-être aussi qu’on le préfère immortel à 40 ans que vieux con radoteur à 70…
*Infos : cette interview faisait au total 9 heures, et avait été partiellement retranscrite dans le numéro hommage de RollingStone à John Lennon (paru juste après sa mort). Le journaliste n’avait jamais retranscrit la totalité des cassettes. Après un brin de ménage récemment, il a exhumé ses vieux enregistrements, et a réécouté avec émotion la voix qui s’est tue il y a 30 ans. Vendredi, vous pourrez contribuer à faire de John Lennon un putain de héros mort, en achetant RollingStone qui publie l’intégralité de l’interview (dis donc, ça va faire du papier!)
N.B : aux dernières nouvelles, John Lennon n’avait pas envie de répondre à nos questions. Vous comprenez, depuis 30 ans qu’on l’emmerde tous les 8 décembre, là il commence à en avoir un peu ras les binocles. Mais qui sait, avec un peu de bol, il nous dira peut-être un peu plus que « go to hell » !