Ne me dites pas que je fais l'amour avec un fou...
Ce matin, Méléon est devant ma porte, il est discrètement arrivé jusque là. J'ouvre en me cachant derrière, je me suis enroulée dans un déshabillé en soie blanche, avec des talons hauts. La surprise promise n'est pas de taille à l'impressionner, même si elle a peut-être contribué à l'attirer jusqu'à mon 'chez moi' ce vendredi matinal. J'aime penser qu'il y aura de nombreuses surprises, que mes fantasmes peuvent se réaliser avec lui.
Il cherche un café, et je lui propose le déjeuner au lit. Rarissime dans ma vie. Et pour cause, ce n'est ni pratique, ni la suite logique des nuits 'en solo'. Ce qui est plaisant dans une rencontre matinale, c'est l'impression que l'on peut se laisser aller à se recoucher alors qu'il était l'heure d'être actif. J'aime ce farniente. Peut-être trop.
Méléon, encore pris au milieu de ses pensées du RER, me déclare oh combien il est plaisant d'être aimé par plusieurs personnes. "J'aimerai dire à tout le monde combien c'est agréable et je le souhaite à tous, au moins une fois dans leur vie".
Beau, agréable, je ne sais plus. Mais visiblement, Méléon est "porté" par ces amours. Son égo, son narcissisme est à bloc. Il se sent élevé, peut-être a-t-il l'impression de voler, d'avoir des ailes. "Pourtant, c'est compliqué, avoue-t-il, parce que cela m'est reproché." Oui, le doigt accusateur est bien là. Tu aimes trop, tu n'es pas exclusif, Méléon.
Les femmes recherchent l'exclusivité, les
hommes aussi certainement. C'est ainsi que Méléon gagne en liberté,
Méléon qui prône l'engagement a généré une situation de non-exclusivité
pour éviter d'être "possédé" par une femme, une seule.
Ce moyen de
préserver son indépendance est assez atypique, d'autres probablement
construisent d'autres barrières, d'autres distances, avec l'être aimé,
pour ne pas être totalement à sa merci. Peut être est-ce aussi une
réaction de survie à la relation fusionnelle, puisque Méléon le
reconnait, il est surtout pris dans le tourbillon des relations
fusionnelles.
"Mais il est possible que je me trompe, que je sois fou!" ajoute-t-il. Fou? "Oui, fou de penser que je suis un être exceptionnel, doté d'un charisme qui me rend irrésistible." Le bémol, je suggère, est que tu ne te rapproches probablement que des personnes réceptives à ton charisme.
"Je suis fou, parce que je m'en fous." Ce personnage étrange, inaccessible, s'est doté d'une carapace protectrice, celle qui consiste à se détacher de tout. Ou presque. C'est aussi une correspondance à son narcissisme. Si des personnes rencontrées lui renvoient une image négative, ou qu'il n'a pas envie de "voir", Méléon s'en contrebalance. Il passe au-delà, n'est pas affecté, ni par la critique, ni par la remise en question qui pourrait jaillir de cette nouvelle image. Tout le monde fait cela ? Non, je ne crois pas. D'autres se construisent, se réajustent, pour plaire. C'est aussi une forme de caméléonisme chez lui, la fuite, l'impression que rien ne va le toucher. Ce qui me fait penser que la situation peut être tournée et retournée dans toutes ses facettes, l'issue la plus simple est de ne pas tenter de contrôler.
Pourtant, c'est là aussi le paradoxe de Méléon. Il accepte d'être contrôlé, encadré, par sa partenaire, visiblement. Jusqu'à un certain point. La preuve.
"Je suis un être de lumière. Depuis 1998. Un être qui distribue de l'amour. Car j'y crois. Je le deviens puisque j'y crois. Puis, construire la confiance en soi à travers l'amour me semble être la clé. Je peux aider les autres en distribuant de l'amour."
"Je ressens quelquechose d'émergent", me dit-il. Il veut être un précurseur. En même temps, pas complètement. Il a plutôt l'impression de ressentir ceux que les autres ne ressentent pas encore, mais qui est déjà en route, démarré. "La génération des quarantenaires, la génération neptunienne, serait capable de construire un autre monde, un monde basé sur des valeurs plus humaines, parce que plus idéalistes, un monde d'amour."
Je me demande comment Méléon serait s'il ne fumait pas. Sa folie douce, où trouve-t-elle sa source ?
Méléon est comme cela avec Elisa. Après il oublie. Il oublie ce dont nous avons parlé. Toutes ses théories, elles sont là, en lui, et Elisa les imprime, au fil du temps, dans le respect et dans la tendresse.
Elisa est heureuse de baigner dans cette tendresse, mais les moments sont fragiles, intenses et disparaissent comme des fantômes, comme Méléon disparait de sa vie, même s'il n'est qu'à quelques bornes. Une sorte de lieu virtuel, inaccessible, interdit. Une autre vie. Une autre femme.