Magazine Journal intime

Jour 35

Publié le 09 décembre 2010 par Miimii
Jour 35
Crédit photo: Adib Samoud Photography ©
Ayant très peu dormi, je suis sortie pour travailler à l’heure habituelle. Rania devait être encore endormie puisqu’elle m’envoie un sms en milieu de matinée : « 13@home »
J’y étais, elle avait sorti son plus beau tailleur, avait fait un brushing, ..., elle était un peu serrée dans ses vêtements parce que je sais ce qui se passe dans son ventre, mais une personne qui ne se doute de rien la trouverait affreusement chic pour la circonstance.
Elle me dit « Nous devons avoir l’air de parfaites collègues, il faut absolument que je le vois partir, un deuil sans cadavre, je ne m’en remettrais jamais. »
Elle était d’une froideur cruelle... toute la tristesse de la veille s’était envolée... son « humanité » ne s’est déclarée que quand elle m’a embrassée sur le front pour me dire « Merci pour la nuit d’hier ma puce ».
Elle s’est reprise, et le temps que je m’habille, on était sorties. Elle a insisté pour prendre sa voiture, et pour conduire. J’étais horriblement mal à l’aise. Aller aux funérailles d’une personne que je ne connais pas et qui à la fois est si proche de moi, tout en pensant qu’en partant, il me laisse une responsabilité énorme, je ne sais pas si ça me fait peur d’aller à son enterrement, ou si ça me rend furieuse contre lui d’être mort et de me laisser son bébé sur les bras.
Et puis le seul enterrement que j’ai vécu était celui de ma grand-mère, et j’ai été traumatisée... pourvu que la famille ne mette pas de CD de coran qui tourne en boucle parce que ça reste mon pire souvenir.
Arrivées, Rania entre la première avec une allure très vive, celle de la collègue qui arrive tout juste du bureau et qui fait simplement son devoir de collaboratrice. Elle se dirige vers sa rivale, et présente très correctement ses condoléances. Elle m’a épatée, surprise, bluffée mais en même temps cette maîtrise de soi m’a effrayée et n’est autre qu’une preuve supplémentaire de sa force mentale. Elle était parfumée et assise très convenablement, elle se tenait bien et baissait les yeux. Elle a insisté pour s’asseoir en face d’un escalier, probablement qu’elle avait compris que le défunt passerait par là.
Elle a baissé les yeux quand les gens présents ont commencé à s’agiter pour marquer le début de la cérémonie. On entendait des hommes sortir d’en haut de l’escalier en répétant « AllahouAkbar ». J’ai commencé à avoir des sueurs froides. Tout ça me rappelle un mauvais moment. Je ne devais pas lâcher Rania des yeux. J’ai essayé de lui prendre la main, elle l’a repoussée. Je la voyais serrer les dents, mais la tête baissée pour que personne ne se rende compte de son degré de souffrance.
Je tremblais de partout, tous mes muscles étaient contractés, j’étais en plein malaise...
Les hommes ont descendu l’escalier avec le linceul sur les épaules, on voyait les formes du corps, on pouvait presque deviner les traits de son visage, comme le saint Suaire.
Les proches pleuraient en émettant des gémissements de souffrances. Lorsque les hommes quittent le pas de la porte, sa femme hurle et se jette à leur poursuite en hurlant. C’est là que Rania verse une larme la tête complètement enfoncée dans la poitrine.
Quand ils eurent quitté la maison, sa femme s’est évanouie et a du être portée jusqu’à une chambre. C’est à cet instant que Rania me demande de partir. Elle se lève se dirige vers la sœur du défunt et lui dit « Que Dieu vous donne de la patience » et est sortie en trombe en se tenant parfaitement bien. Elle avait garé la voiture loin de la maison. Dans la rue, elle marchait difficilement, et arrivant près de la voiture, elle s’écroule par terre, elle me dit, en pleurant « Mes jambes ne me tiennent plus ». Heureusement, personne ne nous voit, je l’aide à se relever et je la dépose côté passager.
Elle me fait énormément de peine, j’en ai pleuré et c’était également le contrecoup de l’enterrement. .. Lourd de souvenirs douloureux.
Elle ne pleure pas, mais elle est très pâle. Elle me dit « Direction chez mes parents »
Je ne bronche pas. Même si je ne pensais pas vraiment que c’était le moment. Je m’exécute.
Elle prend son téléphone « Maman, Papa est la ?... bon ne sortez pas j’arrive. J’ai quelque chose à vous dire. »
Elle raccroche, avec un air blasé et presque diabolique, elle me dit « Ma mère doit penser que je viens lui annoncer que finalement, il divorce et qu’il m’épouse. Ou alors que j’ai eu le courage de le larguer et que j’ai déjà quelqu’un d’autre dans ma vie et que je reviens vivre chez eux. » Elle a ce rire forcé malsain.
Je l’accompagne et demande à rester dehors. Elle me dit : « Ici tout le monde connaît mon tort, si tu viens pas... qui va me ramasser ?? »
J’ai des courbatures qui parcourent mon corps, quand elle parle, on peut presque imaginer qu’elle m’afflige des coups fouets. Son détachement me fait souffrir.
Je rentre chez elle, ses parents ont l’air inquiet. Ils connaissent leur fille, excentrique, exubérante et complètement imprévisible. Ils allaient en avoir pour leur argent.
En une phrase, elle les achève : « Je n’ai pas rompu, je n’en ai pas eu le courage et il ne divorcera jamais pour moi, tu avais raison maman... alors la vie a décidé de me défier, de me punir, elle me l’a pris mais elle m’a laissé à jamais une chose de lui. »
Les parents ne comprennent rien. Je les vois se poser 1001 questions à la seconde et m’interroger du regard comme si j’allais leur donner un indice pour les mettre sur la voie de la réponse à l’énigme.
« Il est mort, je viens à l’instant de l’enterrer et je suis enceinte de lui, depuis 4 mois. »
La mère me regarde et me demande du regard « Mort ?... mais c’est elle qui l’a tué ? »
J’ai presque failli éclater de rire, parce que ses parents s’attendent vraiment au pire de la part de leur fille. Comme quoi, il n’y a pas que les miens qui me jugent mal.
Elle se lève en voyant les yeux embués de son père. Sa mère quant à elle, elle est en larmes.
Elle essaie de sortir quand son père l’attrape violemment par le poignet : « Où tu vas comme ça ? Tu n’as pas fini de nous causer du tort avec tes bêtises ? ». Elle se détache de lui avec agressivité. « Toi, tout ce qui te fait peur c’est le scandale ? Comme d’habitude... ben tu diras aux gens que c’est moi qui suis morte, ou alors que j’ai fait une fugue... invente un truc pour protéger ton image sociale. » Elle m’attrape le bras, elle tremble, elle essaie de me tirer vers la sortie et sa mère arrive en courant et tombe aux genoux de sa fille : « Mais, et cet enfant... il va porter le nom de qui ? »
« Mais, le mien maman... le mien, je n’ai pas besoin d’homme... et je n’ai pas besoin d’en faire un orphelin dès sa naissance. »
Et elle sort, laissant sa mère, pleurant à genoux sur le sol et implorant Dieu.
Le père allumant une cigarette sur le pas de la porte la regardant partir avec dégoût.
Elle avait l’air d’aller mieux qu’en arrivant. On monte dans la voiture et elle me dit : « J’étais sûre qu’en voyant l’intolérance de mes parents, j’allais me sentir mieux. Bon, on rentre regarder ton DVD. Et ne t’inquiète pas pour moi, j’ai vu le cadavre, je sais qu’il est mort... c’est presque moins douloureux que de me dire qu’il dort dans les bras d’une autre et qu’il lui fait l’amour pour la remercier de son délicieux dîner de boniche. Quant à mes parents, c’est bon... pas de cadavre, mais enfiiin !! Le squelette est hors du placard. Soit ils m’acceptent comme je suis... sois j’ai mon bébé et nous auront une belle vie tous les deux. Je vais appeler un avocat pour connaître les formalités juridiques et j’ai encore 3 mois et demi pour apprendre à vivre avec l’idée d’être une mère célibataire plutôt qu’une mère divorcée, délaissée, ou trompée. » Et elle éclate de rire...


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