Usep, esprit sportif et Bruce Lee.

Publié le 09 décembre 2010 par Kevinades

   Après quelques digressions plus ou moins heureuses, il est temps d’en revenir aux fondamentaux, à savoir les kevinades. Et comme je vous sens trépigner derrière vos écrans amis lecteurs ; eh bien je vous propose de démarrer immédiatement par, une fois n’est pas coutume, un peu de culture.

   Ce saint homme adulé de tous qu’est Bruce Lee a dit un jour, ou il a écrit mais en fait on s’en fout un peu : « Si vous parlez de sport, c'est une chose. Mais quand vous parlez de combat, et c'est le cas, alors vous feriez mieux d'entrainer chaque partie de votre corps ». C’est dans cette logique que j’ai inscrit ma classe à l’USEP. C’était déjà il y a quelques années, dans une autre vie, c'est-à-dire dans une autre école.


   Pour les profanes, l’USEP ce sont des rencontres sportives organisées hors temps scolaires pour les élèves des classes inscrites. En clair, quatre ou cinq fois dans l’année, le mercredi, on part avec une dizaine de ses ouailles pour une rencontre de hand ou de vtt… Notre rôle consiste alors à encadrer, arbitrer, soigner, gronder, féliciter, discuter, surveiller, installer, ranger… Bref, la routine pour tout enseignant qui se respecte. Au fait, vous avez bien lu, c’était le mercredi… Mais j’étais jeune, je ne savais pas ce que je faisais…

   Le contexte étant posé, projetons-nous le jour d’une petite kevinade : c’est une belle journée, un mercredi donc, et je suis attendu pour une rencontre USEP avec mes élèves de CP. Quand j’arrive vers 8h30, ils sont déjà tous là, dans le bus. Ils sont tous gonflés comme des pendules et remontés à bloc : dix élèves de six ans, la crème de la crème, l’élite de l’élite, le gratin du… enfin vous m’avez compris quoi. Il n’y a là que du winner, de la marmaille de compète, des athlètes en puissance. Parce que nous, mon équipe et moi, on n’est pas des guignols, nous on y va pour gagner !

   En les regardant, une larme de fierté coule sur ma joue droite : je repense à tous les sacrifices consentis par moi-même et subis par eux. Toutes ces heures de français passées à conjuguer le verbe gagner à tous les temps. Toutes ces heures de math pour enfin assimiler une notion essentielle en sport : l’équipe qui a le plus de points gagne ! N’oublions pas non plus les kilomètres parcourus en slip dans la neige en scandant des hymnes martiaux ! Tous ces efforts doivent payer, je les imagine déjà sur le podium la main sur la poitrine, les yeux rougis par l’émotion et brillants de gratitude envers leur maître qui les a menés toujours plus loin, plus fort, plus vite, jusqu’au bout de l’extrême limite.

   Je vois d’ici mes collègues venus des écoles adverses mais néanmoins concurrentes, s’arrachant les cheveux et maudissant les cieux d’avoir osé me défier !

   Bon, soyons honnêtes, un entraînement de spartiate ne suffit pas. J’ai une botte secrète. Mon conseil aux débutants, aux apprentis P.E : débarassez-vous en amont du jour J des boulets, des handicapés moteurs et de tous les gamins qui ne savent pas aligner trois passes.

   Le p’tit gros de la classe : parents convoqués la veille et punition. En vous débrouillant bien, le gosse un peu gauche qui rate tout ce qu’il fait peut attraper un rhume dans les jours qui précèdent la rencontre… Je suis certain que vos esprits tordus ont déjà trouvé 1001 idées pour y parvenir ! Bref, avec un soupçon d’ingéniosité et une bonne absence de sens moral on fait des miracles. D’ailleurs on ne le dit pas assez, mais le sens moral c’est quand même vachement emmerdant dans notre profession.

   Du coup vu que tous les bras cassés restent chez eux, il ne me reste que des machines de guerre, des graines de gymnastes chinois, des embryons de nageurs est-allemands de la grande époque. On va tous les bouffer ! Le premier qui me parle de Coubertin ou d’esprit sportif sera flagellé sur la place publique !

   Pendant le trajet en bus, je les observe discrètement : ils ont tous l’œil du tigre, il émane d’eux comme une fureur de vaincre. Ce sont mes guerriers, mes gladiateurs. C’est fou finalement ce qu’on peut obtenir de gosses si jeunes quand on sait comment les intimider !

   En arrivant, avant de descendre, je prends bien soin de leur rappeler ce que nous n’avons cessé de répéter depuis plusieurs semaines, à savoir une citation de George Orwell qui est devenue notre devise : « Pratiqué avec sérieux, le sport n’a rien à voir avec le fair-play. Il déborde de jalousie haineuse, de bestialité, du mépris de toute règle, de plaisir sadique et de violence ; en d’autres mots, c’est la guerre, les fusils en moins. » Ben vous inquiétez pas pour nous, on va pratiquer avec beaucoup de sérieux !

   D’ailleurs Kevin, un de mes athlètes en herbe, a magnifiquement condensé tout ça en un magnifique slogan de son crû : « Jouer c’est bien, gagner c’est mieux ! » 

   Je connais des morveux du CP de la commune voisine qui vont regretter d’être nés et de nous avoir battus lors de la rencontre précédente.

   Ah, au fait, je ne vous ai pas dit le thème de la rencontre du jour : la balle au prisonnier. Purée c’est fait pour nous ! En avant mes disciples ! Montrons-leur qui nous sommes ! En route mauvaise troupe, viendez ma bande ! Ça va chier des bulles, on va tous les briser, les pulvériser, les piétiner, les… … … Mouais, heu… … … Désolé… Je me calme, et je reprends.

   Je suis d’autant plus désolé que quelques heures plus tard, nous sommes de retour dans le bus. Nous sommes toujours mercredi, il est 11h15. On s’est fait laminer, exploser… Visiblement l’entraînement spartiate de mes élèves était moins spartiate que celui des autres.

 

   Je soupçonne même une équipe d’avoir tourné aux anabolisants… Je ne vous parle même pas de ce CP qui était aussi grand que moi, j’aurais bien aimé voir ses papiers à celui-là ! Résultat des courses, les mines sont défaites, l’ambiance est morose. Perdu dans mes pensées, j’échafaude déjà des plans pour la prochaine fois… Peut-être que passer à la corruption serait envisageable ? Il n’y a aucun bruit durant le trajet, d’une part parce que mes troupes sont abattues et d’autre part parce qu’ils n’ont pas le droit de l’ouvrir, il faut bien que je leur fasse payer cette humiliation.

   Nous arrivons à l’école vers 11h25, les parents doivent venir chercher leurs mômes à 11h30. C’est parfait, je n’ai qu’une hâte, ne plus voir leurs faces de loosers. Il est temps que je rentre chez moi. Demain il y a classe, je dois trouver comment je vais pouvoir leur en faire baver. 11h35, pratiquement tous les parents sont venus, il me reste deux gamins. Cool, je serai bientôt chez moi…

11h45, je commence à m’impatienter mais voilà que surgit le père d’un de mes deux élèves restants. Plus qu’un à refourguer, un p’tit gars mignon  avec la tête de celui qui a inventé l’eau froide, appelons-le Kevin.

11h50

11h55, R.A.S.

11h57, ah... ah ben non.

12h00, ça commence à faire un bon retard ça… Ca me rappelle vaguement quelque chose. Voir Automne, poésie et oeil du tigre.

12h05

Moi :Heu… Dis-moi mon bon Kevin…

Kevin : − Oui oh grand et vénérable maître !

Moi : − Tu es bien certain que tes parents doivent venir te chercher mon jeune élève ?

Kevin : − Ben oui !

Moi : − Non parce que là ils sont comme qui dirait un tout petit peu à la bourre, sans vouloir les incriminer.

Kevin : − Ben je sais pas maître…

Moi : − Et puis c’est cocasse, parce qu’ils ne répondent pas du tout au téléphone !

Kevin : − Heu maître, tu te doutes quand même bien que j’ignore totalement le sens du mot cocasse !

Moi : − Evidemment mon bon Kevin, mais dois-je te rappeler que ceci est une conversation fictive et que je peux la narrer comme bon me semble, avec , s'il m'en prend l'envie, quelques libertés par rapport à la véritable kevinade ?

Kevin : − Mais où avais-je la tête ? Pardonne-moi oh mon maître.

Moi : − Ce n’est rien mon petit… Ce n’est rien. Sinon tu habites loin ?

Kevin : − Ben oui maître, très loin…

Moi (marmonnant) : − Forcément…

12h15

Kevin (réconfortant) :− Mais ils vont arriver, c’est certain maître !

Moi : − Je l’espère, je l’espère…

Kevin (généreux) : − Allez maître, tout ne va pas si mal, certes tu ne peux pas les joindre et tu attends comme un con depuis bientôt une heure, mais ça pourrait être pire… Et puis tu sais maître, si vraiment ils n’arrivent pas, ben on peut toujours partager ce qu’il y a dans mon sac.

Moi (peu convaincu et faussement intéressé) : − Si ça te fait plaisir Kevin… Mais qu’as-tu donc dans ce sac, mon bon Kevin ?

Kevin : − Ben maître, c’est mon pique-nique ! Celui que mes parents m’ont donné ce matin voyons !

Moi (en détresse absolue) : − Heu… Un pique-nique… Genre jambon-beurre-chips-Yop ?

Kevin : − Ben tu remplaces le jambon par du saucisson et tu y es maître, tu vois on est sauvés, on a largement de quoi tenir des heures !