Fuse

Publié le 14 janvier 2008 par Eric Mccomber
*
Voici la narcose
L’ivresse des hauteurs
La mer est grosse
La mer en blés
Au cœur de la perle bleue
La mariée entre deux eaux
Mon ventre devient
Incubateur de gemmes
Prononce mon nom
Comme s’il était la vérité
Son index sur mes lèvres
Dans l’aube tremblante
Dans l’incendie
Qui me sinistre
Jour après nuit
Le verre chante
Vitrail transpercé
Crevarde
Fonderie
J’ai assez vu
Belleville
J’y retournerai
Je porterai du noir
Un coquelicot
Se fane
Sur le granit
Je tournerai le dos
Une de ces nuits
À ma maudite loyauté
Bec et ongles
À corps défendant
J’aime comme un simplet
Médiéval
Jamais absorbé
Intégré
Les usages
J’aime comme un nœud
Une cognée
J’aime bête
Je redeviens le prolétaire
Le numéro
Chaîne de montage
Ou chaîne de lettres
Dérailleur au cœur
Tailladant
La chair
Le muscle
Tordu
Tâche d’avoir l’air en vie
J’arrive
J’arrive
J’arrive
Sa langue est grasse et dodue
On croirait la lune
Si c’est la fin
Je veux bien parier
Et je suppose
Que si je perds
J’aurai encore gagné
De si près
Comment t’as pu rater
J’étais un rhinocéros
Dans un corridor
Comment t’as pu laisser
Agonir
Le Ptit
Je poursuis
Ex-sentes
De l’ex-espérance
Je veux l’accord neuvième
La plénitude
Je survole les brebis
Les nuages à flanc de montagne
Je dérive aux cours
Les torrents sont lourdeurs
Et bétons
Je voudrais que le dernier
Des survivants
Réclame pour son dernier repas
Ton sang dans un calice
Suis-je dingue
D’espérer
Que la dernière des sorcières
Au bûcher
Ne se rappelle de rien
De plus tendre
Que de l’ivresse
De ta glaire
Sur ses joues
Derrière ta carcasse
Les traces de tout
Ce qui a coulé
Mais tu n’as rien
C’est moi qui m’épanche
Tu es intacte
Et je manque de tout
De tant
Prions
Prions
Prions
Agenouillons-nous
À-plat-ventrons-nous
Aplatissons-nous
Prions
Prions
Prions
Prions-nous
Prions nos propres cœurs
Prions nos noyaux
Prions nos pompes
Que vibrent les basses
De la grosse crisse de B3
Que brasse le grand Leslie
Ça y est presque
Et hébété
J’ai cru
Qu’elle était la roue
Le feu
La vapeur
L’imprimerie
L’écriture
Le train
Le continent englouti
L’Atlantide
L’incendie d’Halifax
Le débarquement de Normandie
Hastings et Popincourt
J’ai cru voir
Le pont de Gibraltar
L’élévateur orbital
La cité sur Mercure
Elle a prétendu dormir
Mais elle mourrait
Elle a joué au fil de fer
À l’expédition perdue
Au fond des jungles
Elle a été l’idole
Le veau d’or
Le sang de la vierge
La salive de la pute
La dernière amarre
L’ultime ligne
Le filin
La courroie
La pierre
Le gravier
Le sable
Je peux pas regarder
Je sais
Que je me suis fait avoir
Sa voix à lui
Résonne
Et je m’arrête au milieu d’une côte
— Eh ?
— Eh ?
— Eh ?
Il pleurait derrière la bergerie
Nu et stupide
Sa famille le rassurera
Il criait près de l’étang
En pleine nuit
Il avait mon pieu dans le côté
Mon épée au flanc
Ma balafre sur le nez
Il saignait comme un goret
Égorgé
Je l’ai entendu me maudire
L’enculé
Gaspilleur
Elle était sa commodité
Je lui ai infligé
La douleur de perdre
Ce qu’il ne croyait pas vivant
Pire
J’ai échappé
L’acide
Et la ciguë
Dans sa gorge
J’en ai quoi à foutre
Je suis pas là
Comme gardien
Des aristos
Qu’il râle
Ce cinéaste
Ready for my close-up
Mister DeMille
Qu’ils se filment tous
Qu’ils pornographisent
Jusqu’aux pétales
Des fillettes
Jusqu’aux gouttes
Des rosées
Amazones
Qu’ils salissent
Jusqu’au chapeaux qui s’envolent
Jusqu’aux cygnes des étangs
Qu’ils poignardent les feuilles
Encore aux bourgeons
Qu’ils s’essuient les bottes
Sur le dos
Des hermines
Qu’ils se torchent
Dans les tulipes
Ou se mouchent
Dans les chevelures
Diaphanes
Fines
De nos ancêtres
D'avant le Croissant
Fertile
J’ai cru
M’abuser
Je ris si fort
Que je m’envole presque
J’en oublie que mes ailes
Traînent sur la dalle
De marbre gris
Maculé
D’humeurs
Rougeâtres
Les lampadaires
Tremblent à mes pieds
Dans la Charente
Qui m’invite
Comme autrefois la Gatineau
Ou le Saint-Maurice
Et je frissonne
D’horreur
Devant la noirceur
Aqueuse
Et les secrets
Qui s’y déroulent
En lancinant silence
Sous la glace
Ou le ballet des éphémères
Sous la caricature
Grotesque
De la ville inversée
Peinte
Liquide
Par les phares
Des fardiers
Gavés d’alcools
Et de raffinements
Vieillis
Tais-toi
Tu n’as rien à me dire
Tu as perdu tous tes droits
Et mon amour
Moisit
Contre une pierre
Antique
Et salie
Laisse la tomber
Laisse tout tomber
Ne me dis plus rien
Plus jamais rien
Que le corbeau
T’emmène
Qu’il orbite
Les Carpates
Et les steppes
Qu’il fonce jusqu’à Tau Céti
J’irai pas t’y rejoindre
Autre
M’attend
La forêt regorge de fleurs
Et j’irai demain
Prends garde
Ne prends pas froid
Adieu
Ma crisse
Adieu
Ma tabarnak
Adieu
Adieu
Adieu
Bulle
Crève
Baudruche
Comédie
Saynète
Blague
Comme
Tu es belle
Cruelle
Tu as aujourd’hui l’air
D’une vraie étoile
D’une opale
Tu es le joyau
De la couronne mortuaire
De l’Amérique
Tu es le carbone
L’or noir
L’obsidienne
Au sable
De ma chair
Tu es la plus vilaine
Pivoine
La plus toxique
Des perles
Les flammes à l’aurore
Le pont de glace qui se rompt
Tu es le câble qui claque
Tu es le tunnel qui s’effondre
Tu es ma perte
Mon mutisme
Du mauvais côté du monde
Me tourner
Me retourner
Et fuir
Quand tout me dit
De m’affaler
Sur ta tombe
Et d’attendre
Pour toujours
Que le jugement
Premier
Te libère
Comme si ça avait été
Toi
Plutôt que moi
Qui était mort
Quand c’est si clair
Et si limpide
Que
C’est moi
La morte
Que c’est en moi
Que quelque vie
S’est empoisonnée
Les ormes grondent
De colère
Les sacs dérivent
Entre les troncs
Dans la brise
Et s’enterrent
Dans la vase
Lentement
Sont ravalés
Et retournés aux entrailles
Digérés
Je suis le pétrole
Dix mille ans
Me séparent
De brûler à nouveau
Vient-il le jour
De pluie
Vient-elle
La fontaine
Je n’ai jamais joué si dur
Que dans ta douceur
Tu m’avais presque prévenu
J’ai porté tes vomissures fumantes
Et me crois-tu
Que je les aimais
Comme tout ce qui venait de toi
Crois-tu que je n’ai eu aucun dégoût
De porter les rejets
De ton ventre
Crois-tu
Que j’aurais dû fuir
Crois-tu que je fuirai
La prochaine
Délaissée
Flétrie
Suceuse de bourge
Crois-tu que j’aurai enfin appris
À prendre le trésor
À la cale
À couler le navire
Comme tout le monde
À butiner
Miel et foutre
Comme il sied
À ceux de mon rang
Caste de la castagne
Chapardeurs de châtaignes
Les petits brigands
Dorment sous les ponts
Et ne rêvent à rien
De mieux qu’une nuit
De répit
De repos
Et moi
J’ai tant osé
J’ai tant refusé
J’ai tant dansé
Hors du tambour
Réformé
Invalide
Comment t’as fait
Pour dérailler les trains
Et retourner les étoiles
Si on inventait Dieu
Toi et moi
Pour lui montrer
Comme on gaspille
Les plus précieuses
Étincelles
Comme on jette
Aux orties
L’aumône
De l’aube
Fourbu
Rompu
Écartelé
Entre gouffre
Et Terre
J’ose oser
Ma tragédie
Me lasse
Me navre
Cette vieille chanson
Ce tube fatigué
Oublié dans le juke box cheap
Câlisse un trente-sous
Dans machine bébé
M’as te rejouer
Le drame
En douze barres
L’effondrement
En quatre temps
La défaite binaire
Un jour
Tu es à ma main
Coin Voltaire et Timbeault
Un jour tu es le second soleil
Un jour tu fais honte à l’azur
Qui se cache à ton arrivée
Un jour ta main me serre la taille
Un jour tes yeux se posent
Sur moi
Et ta bouche sourit
Un jour tu joue
Un jour tu aime
Un jour tu es là
Il fera assez froid
Pour la rivière
Pour passer
L’autre côté
Un jour
Sans se faire mal
J’irai te voir
J’ai fait le lit
J’ai fait la chambre
Mes sacs sont là
Tout es prêt
Je pars
Je monte au ciel
De l’autre côté de la pièce
Ne me parle plus
Je te demande de me laisser
Tranquille
Pour de bon
Mais moi
Je te laisse tranquille
C’est toi qui reviens
Toujours
« À la fontaine », tu dis
Dans la nuit
La pluie
Dix ans
Que je t’attends
Je t’ai avertie
Et tu as haussé les épaules
« C’est tant mieux
C’est un point pour toi »
Sale ingénue
Vas-y !
Roule-toi
Dans le projecteur
Aplatis-toi
Cadre dans leur monde
Meurs
Meurs
Meurs donc
« Ready for my clooose-up »
Puisque tu es morte
Te foutre la paix
Mais je ne fais que ça
Je reste ici
Loin
Au bout
Du monde
Littéralement
Un de nous deux est de trop
Dans cette hémisphère ?
Dans ce siècle
Dans ce millénaire
J’ai pas choisi
J’ai rien choisi
De quoi ça a l’air
À ton avis
Cette balafre
Cette vigne tordue
Ce tatouage
Cette marque au fer
Cette cicatrice
Regarde ce moignon
C’est laid ?
Ou beau ?
Je me souviens
De toi, là
Me vrille
Au creux du lit
Ou en pleine rue
La marque
Le signe
La croix
Indéposable
La croix est dans ma chair
Me sert de dos
Me sert de ventre
Et de poitrine
Cette plaie si fine
Cette gorge
Ce canyon
Cet abysse
M'abîme

* I want too much ; © Joe Henry ; Fuse© Éric McComber